La bonne gestion de la BCE ?
Avec son « quantitative easing », dont l’avenir s’écrit en pointillé, l’institution de Francfort a créé une alternative au marché pour le financement de la dette des Etats. Une performance économique, estime le fondateur d’Infofi2000.
Une gestion qui pourrait toutefois s’avérer risquée avec un retour durable et significatif de l’inflation NDLR
Le retour durable de l’inflation pourrait marquer la fin du « quantitative easing » et notamment la diminution progressive des achats d’obligations souveraines. On doit observer à cet égard que cette composante essentielle de la politique de la Banque centrale européenne (BCE) a été le plus souvent perçue sous l’angle limité de la création monétaire et de l’alourdissement du bilan de la banque centrale.
La finalité de cette politique est pourtant d’une dimension considérable, et de surcroît parfaitement visible : la création d’une alternative au marché pour le financement de la dette des Etats, une révolution dans la pensée économique pourrait-on dire.
Une double performance puisqu’il s’est d’abord agi de démontrer l’orthodoxie des mesures prises au regard des textes et des règlements régissant l’action de l’institution. Le droit a été respecté puisque la BCE ne prête pas aux Etats. Acheter des obligations souveraines sur le marché secondaire, des obligations initialement acquises par les intervenants du marché primaire, puis librement revendues, ce n’est pas prêter juridiquement aux émetteurs d’obligations.
Un prêteur du genre particulier
Sur le plan économique en revanche ce mécanisme traduit le financement des Etats, un financement dont la banque centrale a la complète maîtrise. L’institution de Francfort s’est ainsi érigée en nouveau prêteur, mais un prêteur d’un genre particulier, qui décide des conditions de crédit non pas en fonction de ses gains, mais dans le sens des avantages pour les emprunteurs.
Notons au passage que l’usage des taux négatifs, un mécanisme de subvention des Etats dérivé d’une banale notion de pénalités appliquées aux dépôts des banques auprès de la banque centrale s’est ajouté à la politique globale d’aide aux Etats, brisant ainsi plusieurs théorèmes de ce qu’on pourrait appeler la science économique historique.
CHRONIQUE – Abandonner le « quantitative easing » serait une erreur
Ajoutons à cela que la BCE a cumulé les rôles de banque de crédit et de banque d’investissement. C’est ainsi qu’il faut en effet qualifier l’action d’un prêteur qui allonge toujours plus la durée des crédits consentis et promet de prolonger les crédits existants arrivés à leur terme. Un prêteur qui transforme peu à peu des crédits de court et moyen terme en crédits à très long terme, presque indéfiniment prolongés, mais qui, juridiquement, gardent le caractère de crédits remboursables.
Ce prêteur n’est plus simplement prêteur, il devient aussi l’équivalent d’un actionnaire, un actionnaire d’un genre particulier, aux pouvoirs limités. S’agissant d’une entreprise on parlerait de crédits partiellement transformés en quasi-fonds propres par ses créanciers. La traduction de cette transformation est la diminution du montant global de l’endettement, la création d’une sorte de ratio debt/equity favorable, et donc la réduction durable du risque « Europe » perçu par les marchés.
Talon d’Achille
L’inflation est le talon d’Achille de cette politique subtile conduite par la BCE depuis 2015, son élément de fragilité. C’est en effet par une interprétation stricte de sa mission – combattre la déflation – que la BCE a réussi ce tour de force peu commun, le financement de fait des Etats. L’incertitude sur la poursuite du « quantitative easing » est double, puisqu’ au risque de retour de l’inflation s‘ajoute l’inconnue politique liée aux futures majorités en France et en Allemagne.
On peut néanmoins penser que les Etats reviendraient sereinement au financement par les marchés, forts d’une dette réduite d’environ trente pour cent. L’institution francfortoise pourrait d’ailleurs reprendre ses achats d’obligations le moment venu, mais la difficulté, déjà réelle, serait d’ordre politique. L’argument de la réduction de la dette « transmise à nos descendants » pourrait ne plus suffire pour convaincre l’opinion de la nécessité de réformes visant à réduire les déficits structurels.
Alain Lemasson, ancien banquier, est le fondateur d’Infofi2000.
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