Pour une économie de la sobriété
Un papier de Claire Legros réhabilite le concept de consommation de sobriété dans le Monde des idées.
Réduire ses déplacements, relocaliser ses achats, privilégier les objets d’occasion… Ces idées semblent faire leur chemin dans l’opinion publique, selon le baromètre de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
La notion de sobriété, notamment énergétique, suscite aussi « un intérêt croissant de la part des sciences sociales et politiques », note Edouard Toulouse (La Revue de l’énergie, mars-avril 2020), ingénieur et membre de l’association négaWatt, qui anime, depuis 2017, Enough, un réseau international de recherche sur le sujet. Pour autant, elle reste peu mobilisée dans les politiques publiques. « Il y a là comme un angle mort, un sujet tabou », constate Barbara Nicoloso, directrice de l’association Virage Energie, qui accompagne les collectivités dans leur transition énergétique.
Une notion ancienne
Comment expliquer ce phénomène ? Qu’on la nomme « tempérance » ou « frugalité », la modération est une notion ancienne, qui s’enracine dans les grandes traditions philosophiques et religieuses. Présente dans la pensée grecque et les principales religions, elle est longtemps perçue comme « une évidence », dans des sociétés « soumises aux contraintes matérielles », où les populations s’organisent « pour répartir des sources d’énergie peu abondantes, gérer la pénurie pour se chauffer, s’alimenter, se déplacer, ou produire des biens », rappelle l’historien des techniques François Jarrige (« Sobriété énergétique, un nouvel oxymore ? », AOC, février 2020).
La démarche est individuelle mais aussi collective. Dans son ouvrage Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (Gallimard, 2006), le géographe Jared Diamond cite l’exemple des Islandais, qui ont su, pendant des siècles, limiter le nombre de moutons par éleveur, afin de préserver un environnement volcanique où la terre fertile est une denrée rare.
C’est à partir du XVIIIe siècle que s’opère un basculement de la pensée occidentale. Avec les sciences modernes émerge l’idée que la Terre est exploitable, qu’il suffit de la creuser pour en extraire une énergie abondante.
Se déploie alors « un nouvel imaginaire où l’émancipation et la réalisation de soi passent par un progrès technologique sans limite, qui pourvoit à la satisfaction matérielle de tous les désirs », analyse Barbara Nicoloso, autrice d’un Petit traité de sobriété énergétique (Charles Léopold Mayer, 200 pages, 10 euros). Au XIXe siècle, la sobriété devient même une idée rétrograde, « un signe de misère ou de retard », constate François Jarrige. Alors que les promoteurs du charbon, du pétrole, puis du nucléaire sont célébrés comme des héros, « leurs opposants et tous ceux qui cherchaient d’autres chemins ont été oubliés et rejetés dans les poubelles du passé ».
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