Une relance du fret ferroviaire ?
Frédéric Delorme, président de Fret SNCF et de Rail logistics Europe livre la énième version de la renaissance du fret ferroviaire dans une interview à l’Opinion.
Le gouvernement a annoncé un plan de relance du fret ferroviaire. Quel est l’état du secteur actuellement ?
La part modale du ferroviaire dans le transport de marchandises a baissé de moitié en 30 ans en France. Elle s’est stabilisée à 9%, quand elle est en moyenne de 18% en Europe, et que l’objectif est de la porter à 30% d’ici à dix ans. Si la France reste sous ces 10%, et si nos voisins atteignent les 30%, nous allons décrocher sur le tableau écologique mais aussi sur celui de la performance industrielle : les entreprises iront ailleurs car, de plus en plus, elles intègrent la chaîne logistique dans le calcul du coût du carbone. Depuis deux ou trois ans, les choses changent. Et la crise Covid a accéléré un retour en grâce. La logistique ferroviaire, qui était devenue invisible, a montré son utilité à un moment où tous les échanges étaient devenus difficiles en France, où le fret routier avait du mal à circuler. Le fret ferroviaire est désormais plus connu du grand public, qui se pose la question de mieux acheter et se soucie du cycle de vie des produits. La réindustrialisation du pays qui se profile lui donne beaucoup d’attraits. Les industriels commencent à donner de la valeur aux avantages imbattables du fret ferroviaire.
Son bilan environnemental reste à faire mieux connaître…
Oui, et il est excellent. A la tonne transportée, le train émet neuf fois moins de CO2 que la route… Et 14 fois moins en France, car 90% des volumes transportés le sont grâce à une électricité « nativement » décarbonnée, avec le recours au nucléaire. La longue distance par la route sera très difficile et longue à décarboner, nous pouvons offrir des capacités disponibles tout de suite.
Mais ce n’est pas le seul avantage environnemental du fret. Alors que la crise Covid a reposé la question de la qualité de l’air, le fret ferroviaire émet huit fois moins de particules nocives que la route. Et, troisième argument mal connu mais capital dans la démarche globale de réduction des consommations énergétiques, le fret ferroviaire, c’est une quantité d’énergie utilisée six fois moindre par rapport à la route pour la même quantité de marchandises, même si le camion est électrique.
Les intentions ou les plans de relance du ferroviaire se succèdent depuis des années. Est ce que cela a une chance de marcher cette fois, plus que les précédentes ?
Il y a vraiment des raisons d’y croire cette fois-ci. Les précédents plans ne sont pas allés jusqu’au bout, notamment parce que les investissements dans les infrastructures n’ont pas suivi. La France est, avec l’Espagne, parmi les derniers élèves de la classe pour les subventions d’exploitation au fret ferroviaire. Or, il apparaît désormais nécessaire de rééquilibrer ses avantages face à la route, parce qu’il est plus vertueux. Alors qu’on partait de zéro, l’Etat va consentir 170 millions d’euros par an de subventions d’exploitation, une partie pour la baisse des péages dus à SNCF réseau, une autre partie (70 millions) pour l’aide au wagon isolé. C’est important : le transport ferroviaire par petits lots coûte cher, mais la sidérurgie, le transport de matières dangereuses en ont besoin. Et pour l’heure, la route est vraiment plus compétitive. Enfin, une partie de ces fonds sera affectée à l’aide aux transport combiné, ce que l’on appelle les « subventions à la pince ». La France se met au niveau des pays voisins. Ce qui est intéressant, c’est que ces aides et subventions concernent tous les acteurs du secteur, et pas seulement la SNCF. C’est équitable dans un contexte de concurrence. Tous les logisticiens, les chargeurs ont été entendus. Cela fait trente ans que je suis à la SNCF, les planètes n’ont jamais été aussi bien alignées pour le fret. Jamais on a eu un contexte politique pareil, où l’Etat, l’Europe, les régions poursuivent un but commun.
« En nous inquiétant par le passé de la concurrence sur les rails, nous avons sous-estimé la concurrence de la route ! Nous sommes maintenant dans une logique de défense du secteur, dont les acteurs portent le même message »
Le réseau, qui est régulièrement pointé du doigt dans les retards qui pénalisent le fret ferroviaire, peut-il suivre ?
Il faut effectivement le sécuriser pour qu’il puisse permettre une augmentation de capacité. Les arbitrages doivent être plus équitables entre les nécessités du transport voyageurs, celles des travaux, et la ponctualité du fret qui a souvent servi de variable d’ajustement. C’est difficile de faire cohabiter toutes les circulations, car ce réseau est très partagé, que les TGV y roulent autant que les TER, les trains du quotidien dont les besoins s’accroissent aussi avec les nécessités sociétales. Mais d’ici à deux ans, on peut déjà faire beaucoup. Et puis, notre réseau, âgé, en mauvais état, va bénéficier annuellement de 3 milliards d’investissements contre un milliard auparavant.
Que restera-t-il à faire après cela, au-delà de ces premiers éléments de relance ?
Nous sommes en attente d’un rapport du comité d’orientation sur les investissements qui sera publié en février 2022. Sans infrastructures supplémentaires, effectivement, cela ne passera pas. Il reste de grosses dépenses à faire – 10 milliards entre 2024 et 2030 – pour désaturer les nœuds ferroviaires de Paris, Lyon et Lille. Ce sont des travaux longs et lourds, il faut mettre des tunnels au gabarit sur des corridors européens. Une partie sera d’ailleurs financée par des fonds européens, puisque, dans le cadre du contournement de Lyon, par exemple, cela améliore aussi la capacité pour les voyageurs. Il faut aussi améliorer les accès aux ports du Havre et de Marseille, notamment dans l’arrière-pays, pour les rendre plus compétitifs. Si l’on vise un doublement du fret ferroviaire, il faut multiplier par trois le transport combiné. Cela implique de développer les plateformes de transfert route-rail. Il en faudrait une quinzaine, ce qui pourrait coûter encore 10 milliards d’euros. Là, les financements privés peuvent contribuer, si le foncier est disponible. Cela paraît beaucoup… Mais dans un récent rapport, l’Alliance 4F, qui réunit tous les acteurs de la filière en France, a démontré que les bénéfices de ces investissements pour la qualité de l’air, la décongestion des villes, les accidents et le CO2 évité, se chiffrent à 25 milliards d’euros sur la période 2020-2040, si la part modale du fret ferroviaire est multipliée par deux.
Vous insistez sur la nécessité de déconcentrer les décisions…
Les plans ont jusqu’ici été «top-down», c’est-à-dire décidés à Paris pour la province. Il se sont peu attardés sur les besoins spécifiques des régions industrielles, rurales, des vallées alpines, qui ont des attentes et des contraintes différentes. Il n’y a pas eu assez de travail avec les régions, les CCI, pour faire émerger des projets locaux. Pourtant, c’est une des conditions d’une relance réussie. Les métropoles asphyxiées peuvent prendre en compte le fret ferroviaire à leur échelle, il faut adopter une nouvelle forme de gouvernance pour que cela soit possible.
Et la SNCF dans tout cela ? Quelle est sa place en tant qu’acteur du fret ?
Nous sommes, avec Fret SNCF et Rail logistics Europe, les numéro 1 du fret en France, même si nous ne sommes pas seuls. Nous couvrons les deux tiers de l’activité sur le territoire. Nous sommes aussi le deuxième acteur européen après la Deutsche Bahn, présents en Italie, en Allemangne, en Pologne pour ne citer que ces pays. Nous avons toute une palette de services , nous faisons aussi du cargo maritime, nous opérons des autoroutes, nous achetons aussi des trains pour le compte de clients. Si le marché du fret double, il doublera pour tout le monde et nous sommes très favorables à la concurrence qui est nécessaire, qui nous stimule sur les innovations et les prix. La grande leçon de la relance est qu’en nous inquiétant par le passé de la concurrence sur les rails, nous avons sous-estimé la concurrence de la route ! Nous sommes maintenant dans une logique de défense du secteur, dont les acteurs portent le même message. S’il faut trouver un bénéfice à la crise sanitaire, c’est qu’elle aura permis aussi cette prise de conscience sans le secteur. C’est sans doute grâce à elle que nous vivrons une relance.
Fait maison
Diplômé de l’Ecole polytechnique et ingénieur des Ponts et chaussées, Frédéric Delorme a rejoint le groupe SNCF en 1991, où il a occupé de de nombreux postes : département des ouvrages d’art, directeur de région, postes commerciaux à la direction du fret, directeur de l’ingénierie… Après un passage chez Systra, la filiale internationale d’ingénierie des infrastructures de transport public, il a rejoint en 2016 la direction générale de la sécurité pour l’ensemble du groupe. En quatre ans, il met en place un pilotage simplifié et unifié de la sécurité du système ferroviaire. Il est président de Fret SNCF depuis le 2 mars 2020.
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