Société-L’espèce humaine menacée aussi par la dégradation de la biodiversité
Un papier de l’Opinion attire l’attention sur les conséquences de la dégradation de la biodiversité sur l’espèce humaine elle-même (synthèse)
« Dans toutes les espèces, des individus quittent leur population par erreur et s’installent ailleurs. Avant le changement climatique, si un individu allait accidentellement au-delà de l’endroit où son espèce vivait normalement, il mourait tout simplement. Mais, avec le changement climatique, ces individus peuvent rencontrer de bonnes conditions de vie et de reproduction dans des endroits en dehors de leur aire de répartition historique : ils peuvent survivre et créer une nouvelle population dans des zones situées plus au nord ou à une altitude plus élevée », explique Camille Parmesan, écologue spécialiste des conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité, professeur à la Sete (Station d’écologie théorique et expérimentale).
Mais si, au Nord de l’habitat d’origine, il n’y a qu’une zone non propice à la relocalisation, comme l’immense étendue d’eau du Pacifique, l’aire urbaine de Paris ou une monoculture, alors l’espèce reste sur place, diminue en nombre, dégénère sous l’effet de l’endogamie, disparaît…
« Normalement, chaque million d’années, quelque 20 % des espèces disparaissent et sont remplacées, précise Bruno David, président du MNHN (Muséum national d’histoire naturelle). Mais nous sommes aujourd’hui sur une trajectoire qui, extrapolée sur 1 million d’années, aboutirait au chiffre de 8.000 % pour les mammifères : cela signifie qu’au cours des 40, 50 ou 60 prochaines années 500.000 à 1 million d’espèces animales ou végétales pourraient disparaître. »
Soit 5 à 10 % du nombre estimé d’espèces constituant la vie sur Terre. Ce pourcentage peut paraître faible, mais les scientifiques sont incapables de préciser à partir de quel seuil l’extinction risque éventuellement de s’emballer et de provoquer un effondrement de tout notre écosystème.
Déjà, il semblerait que plusieurs espèces – comme la morue au large de Terre-Neuve – aient dépassé le point de non-retour. « A certains endroits, la chaîne du vivant est en train de s’effondrer : il y a une accélération sans précédent de l’extinction de la biodiversité et celle-ci est d’origine anthropique, insiste Pierre Dubreuil, directeur général de l’OFB (Office français de la biodiversité), le bras armé de l’Etat français pour la préservation de la biodiversité. Si la trajectoire actuelle se poursuit, la Terre survivra, mais peut-être pas l’homme… ».
« Au-delà de 2 °C de réchauffement climatique à la fin du siècle, nous perdrons tous les récifs coralliens, affirme Karl Burkart, l’un des coauteurs de Global Deal for Nature, un plan d’urgence pour sauver la diversité de la vie sur Terre. Il y aura alors un effondrement des ressources halieutiques ; or 3 milliards de personnes dépendent de la pêche pour se nourrir. »
Que faire ? « D’abord, il faut bien comprendre que les sujets ‘lutte contre le réchauffement climatique’ et ‘préservation de la biodiversité’ sont intrinsèquement liés et cela pour plusieurs raisons, prévient Alexandra Deprez, chercheuse sur la gouvernance internationale du climat à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Premièrement, le changement climatique a un impact sur la biodiversité ; ensuite maintenir des écosystèmes – qui, par exemple, stockent du carbone – aide à réguler le climat ; changement climatique et réduction de la biodiversité partagent des causes communes comme la surexploitation des ressources … Et pour résoudre ces deux problèmes, il faut notamment repenser notre modèle de consommation non-durable et accélérer la décarbonation de nos économies. »
Enfin, il faut être conscient que certaines solutions envisagées pour lutter contre le réchauffement, comme les technologies de séquestration du dioxyde de carbone, peuvent mettre à mal la biodiversité et se retourner contre l’homme.
Ainsi, selon les dernières estimations, pour atteindre les objectifs fixés pour la fin de ce siècle lors de la COP de Paris, il faudrait consacrer entre 300 et 700 millions d’hectares de terre à la seule BECSC (Bioénergie avec captage et stockage de dioxyde de carbone : extraire la bioénergie de la biomasse et capturer et stocker le carbone qu’elle contient). Soit la taille de l’Inde ou de l’Australie. Certains scénarios avancent alors un doublement du prix de la nourriture…
Wilfried Thuiller, directeur de recherche CNRS au LECA (Laboratoire d’Ecologie Alpine), à Grenoble, le reconnaît : « C’est vrai, on ne pourra pas tout sauver, on ne pourra pas protéger toute la surface de la planète, mais on peut protéger un maximum d’espèces dans des endroits clés, notamment les espèces qui sont menacées ou endémiques. » Avec sept collègues européens, il a publié une étude intitulée « Equilibrer les priorités de conservation pour la nature et pour les personnes en Europe ». Ses auteurs y affirment que « bien choisir les 5 % de terres supplémentaires à protéger en Europe peut doubler le potentiel de conservation de la biodiversité. »
Aux Etats-Unis, deux chercheurs de l’Université d’Arizona, John J. Wiens et Cristian Román-Palacios ont montré que les espèces vivant sous les tropiques sont les plus menacées : « sous les tropiques, à basse altitude, le climat est chaud tout au long de l’année ; à haute altitude, le climat est frais toute l’année. Alors que dans la zone tempérée, toutes les espèces doivent survivre à une large gamme de températures chaque année. Les espèces tropicales sont, elles, adaptées à une plage de températures plus étroite et pourraient donc ne pas être en mesure de survivre à l’augmentation des températures les plus élevées due au réchauffement climatique », explique John J. Wiens.
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