La redynamisation des territoires oubliés
Un article de l’opinion souligne l’intérêt de redynamiser les territoires oubliés de l’aménagement.
Face aux grands défis du moment, la bataille ne se déroule pas dans un espace abstrait nommé France. Elle se livre dans la diversité des territoires, à Lens comme à Saclay, à Figeac comme à Dunkerque. Elle se joue dans les métropoles, mais aussi dans les villes moyennes et dans les territoires ruraux excentrés et d’autant plus imaginatifs », professe Pierre Veltz, auteur de La France des territoires, défis et promesses (L’Aube, 2019). De fait, en brouillant les frontières entre l’industrie, les services et le numérique, démontre cet économiste et sociologue, les nouveaux modèles de développement réarment les territoires. Il décrit par exemple la façon dont la filière émergente centrée sur l’individu, sa santé et son bien-être tout au long de la vie, suscite la création de « systèmes collectifs fortement territorialisés » porteurs d’innovations et d’emplois, dont les contours courent de la relation patient-soignant jusqu’aux acteurs de la prévention et de l’accompagnement social.
Dans ce grand bouillonnement, le rôle de l’Etat est primordial, défend Pierre Veltz. Paris doit aider à la structuration des triangles vertueux « individus-systèmes-territoires » au sein des régions, et les inscrire dans le cadre d’une stratégie nationale afin de limiter les doublons et le saupoudrage des subventions. Il n’est pas le seul à penser qu’il est grand temps de réconcilier les domaines séparés de l’aménagement du territoire et de l’aménagement urbain ou territorial. En abandonnant sa vocation d’Etat stratège, qui fut incarnée par feu la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) puis par le Commissariat général au Plan, pour le rôle d’Etat facilitateur ou de partenaire, dont témoigne la création en 2019 de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), la puissance publique a perdu en efficacité, déplore l’institut Montaigne.
Retards. La gestion du plan France très haut débit lancé en 2013 illustre les « limites des démarches partenariales ». Celui-ci prévoyait que les 45 % du territoire non rentables pour les opérateurs seraient connectés au très haut débit hertzien d’ici 2022 par les collectivités locales grâce à des fonds publics. Idem pour la fibre optique en 2025. Il aura fallu attendre la crise sanitaire et l’explosion brutale des besoins pour que ses responsables se décident enfin à mettre les moyens pour combler les retards accumulés.
Ainsi, la première des conditions pour préserver ou rétablir la souveraineté des territoires français serait que l’Etat renoue avec les vertus de la gouvernance : « la mise en place de stratégies communes et négociées entre les différents acteurs permet d’offrir une vision englobante » (Institut Montaigne) et de bâtir des programmes d’investissements puissants. L’argent demeure cependant le nerf de la guerre. Après l’occasion un peu ratée du plan de Relance à 100 milliards d’euros (en dépit des mots, sans réelle dimension territoriale), une nouvelle opportunité semble s’ouvrir avec la décision du gouvernement de lui accorder une rallonge de 30 milliards. Outre le renforcement du nucléaire et des énergies renouvelables, l’objectif de ce « plan postCovid », comme l’ont baptisé ses partisans, est de favoriser l’émergence de nouvelles filières industrielles (mobilité verte, hydrogène, biomédicaments, agroécologie, semi-conducteurs, batteries…) sur tout le territoire. Ce qui sous-entend d’encourager aussi les entreprises des métropoles à s’installer dans les territoires et tous leurs acteurs à s’y ancrer dans la durée. Miracle, ses grandes priorités font l’objet d’un consensus chez les experts.
Tant pour une question d’écologie que de pure rationalité économique, tous considèrent qu’il est vital d’améliorer la desserte ferroviaire des villes moyennes. Est-il acceptable au XXIe siècle que le train reliant Saint-Malo à Rennes parcourt ce trajet de 70 km en 50 minutes à la vitesse moyenne de 85 km/h ? Comparé au TGV, ce chantier n’est pas pharaonique. L’aménagement des lignes courtes existantes serait rapide et économique, ainsi que l’esquisse l’arrivée des premières rames hybrides électrique-hydrogène. De même, préconisent-ils un gros coup de pouce au déploiement des réseaux de bornes de recharge électrique et hydrogène pour que les habitants des territoires ne soient pas les derniers équipés en véhicules propres. Idem pour les réseaux de communication numériques. L’Etat a confié la mission aux opérateurs privés d’équiper 90 % du pays d’ici 2025 avec la « 5G », plus performante et dix fois moins consommatrice d’énergie que la « 4G ». Ce n’est pas un hasard si l’Allemagne consacre 5 milliards d’euros de son plan de relance à couvrir les zones excentrées. La « 5G » est un puissant levier pour susciter de nouvelles offres de services (usines robotisées, objets connectés, etc.), redéployer des activités et constituer des grappes d’entreprises, bénéficier de services publics de qualité (téléadministration, télémédecine, formation à distance).
Etoffer. Le consensus existe, enfin, sur la nécessité d’étoffer la carte des établissements de formation supérieure et professionnelle afin de stopper la fuite des étudiants vers les métropoles et susciter l’émergence d’écosystèmes locaux de recherche et d’innovation. Personne ne souhaite vraiment relocaliser des universités dans des petites villes. Il s’agit plutôt d’engendrer au niveau local une offre complémentaire panachant les formations généralistes et spécialisées, en s’inspirant d’exemples probants. Réputée, l’École supérieure des technologies industrielles avancées (Estia), à Bidart, au Pays basque, alimente en ingénieurs une centaine d’entreprises du cru, dont la filière aéronautique. De son côté, l’université de Valenciennes a pris très tôt le virage de la robotique pour répondre à la problématique des industriels du Nord. Une autre solution consisterait à optimiser la fiscalité des nombreuses PME et quelques milliers d’ETI, en commençant par la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), cet impôt prélevé sur les investissements de production, que la France est l’un des derniers pays à conserver, qui plombe la compétitivité des industriels à l’étranger et freine les relocalisations. En allégeant aussi la fiscalité sur les dividendes, ce qui faciliterait la reprise d’entreprises. En France, le taux des transmissions intra-familiales des ETI plafonne par exemple à 17 %. Il s’envole à 56 % en Allemagne et à 69 % en Italie.
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