Iran : fuite des capitaux

Iran : fuite des capitaux

Nader Nouri, ancien diplomate, secrétaire général de la Fondation d’études pour le Moyen-Orient/FEMO, un think-tank basé à Paris explique la fuite ou le gel des capitaux en Iran face à l’instabilité politique et la crise sociale et économique.

La pauvreté est devenue plus que jamais visible en Iran. En mai 2021, Ferial Mostofi, qui préside la Commission des finances et des capitaux de la Chambre de commerce de Téhéran, évoquait l’extension de la pauvreté et la diminution à vue de la classe moyenne en raison du manque de revenus financiers.

En juin 2021, Rouzbeh Kordoni, directeur de l’Institut supérieur de recherche de la sécurité sociale, a annoncé que l’Iran comptait 25 millions de pauvres, ajoutant que le nombre de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté absolue avait doublé par rapport à 2017-2019. De nombreux médias proches du pouvoir admettent qu’en réalité jusqu’à 80 % de la population pourrait se trouver sous le seuil de la pauvreté.

La Chambre de commerce de Téhéran a confirmé la poursuite de la baisse des nouveaux investissements au fil des dix dernières années. Cette annonce fait suite à celle de la fuite des capitaux qui grève une économie en déliquescence.

Citant un rapport de la Banque centrale, le président de la Chambre de commerce de Téhéran a déclaré que 98,4 milliards de dollars avaient fui le pays entre 2011 et 2017. Cela représente 10,9 milliards de dollars par an, selon les chiffres officiels, sans tenir compte des chiffres officieux sûrement plus élevés. (Quotidien « Daramad News » du 23 août 2020)

« J’estime que plus de 100 milliards de dollars de capitaux ont fui l’Iran au cours des quatre ou cinq dernières années, a déclaré Saeed Lilaz, un analyste proche du gouvernement à Daramad News. Il convient toutefois de noter que ces chiffres n’incluent pas les fonds sous forme d’or, de devises étrangères, notamment le dollar, que des citoyens ordinaires ont préservé chez eux ou dans des lieux sûrs, loin des yeux du gouvernement. »

La Chambre de commerce de Téhéran précise que les investissements nationaux dans l’économie du pays (non-étrangers) diminuent de jour en jour. Il est logique que les capitaux aillent là où ils sentent plus en sécurité et là où il y a une stabilité politique.

Cette instabilité, a conduit les Iraniens à contribuer largement à la reprise de l’économie moribonde de la Turquie voisine en achetant pour 70 milliards de dollars de biens immobiliers. N’ayant aucun espoir dans l’avenir, ils choisissent de plus en plus d’investir à l’étranger.

Selon une analyse publiée en février 2018 sur le site Tranio, dédié à l’achat et à la vente de biens immobiliers, les manifestations antigouvernementales généralisées de l’hiver 2017-2018 en Iran visaient la corruption généralisée, les problèmes économiques et le pouvoir religieux dans son ensemble. « Les raisons derrière l’instabilité politico-économique de l’Iran sont similaires à celles qui ont poussé les Russes fortunés à acheter des propriétés foncières à l’étranger », expliquait cette analyse.

Les Iraniens ont environ 50 milliards de dollars de réserves quotidiennes d’argent qui se trouvent ni à la banque, ni à la bourse, ni dans la production. « C’est pourquoi l’on dit que les Iraniens cachent 50 milliards de dollars sous leurs matelas. Avec cet argent, on pourrait construire quatre entreprises similaires aux Aciéries « Mobarakeh » d’Ispahan. Ce chiffre équivaut à dix fois les revenus pétroliers de l’Iran l’année dernière », indiquait le 6 octobre 2021 le site « Pishkhan News ».

Ces chiffres n’incluent évidemment pas les détournements de fonds abyssaux, la spéculation, le financement de milices comme le Hezbollah libanais ou le « Hachd Al-Cha’abi » irakien, ni le coût dévastateur du programme nucléaire iranien. Il s’agit là des causes réelles de l’effondrement de l’économie iranienne et de la misère qui se répand inexorablement. Cependant, le pouvoir et sa machine de propagande ne cessent de braquer les projecteurs sur les sanctions économiques, comme la seule cause de cette situation désastreuse, entretenant ainsi une énorme contre-vérité.

La diminution et la disparition graduelle des classes moyennes, provoquant une fuite généralisée des cerveaux, principalement issus de ces classes, sont l’illustration cruelle de l’instabilité du pays dans toute son ampleur.

Ainsi, dans une interview au quotidien Arman le 21 janvier 2021, le sociologue Madjid Abhari tentait de tirer la sonnette d’alarme. « Pour se rendre compte de l’ampleur de la tragédie économique et sociale qui frappe le pays, il suffit de citer un historien et iranologue qui a fait une déclaration aujourd’hui connue de tous les experts : la fuite des cerveaux a fait 300 fois plus de dégâts à l’économie iranienne ces dernières années que la guerre Iran-Irak. Et Abdul Khaliq, un expert auprès de la Banque mondiale, a estimé que les dommages matériels causés par la fuite de cerveaux sont au moins deux fois plus importants que les pertes liées aux exportations de pétrole de l’Iran », soulignait le sociologue.

Au sujet de la fuite des cerveaux, l’agence de presse ILNA avertissait le 19 août dernier: « La jeune génération éduquée quittera inévitablement l’Iran. Aujourd’hui, l’Iran est connu comme le plus grand exportateur d’élite et de jeunes travailleurs qualifiés au monde. » Selon le Fond monétaire international (FMI), cité par le site persan Alef le 12 juillet 2017, entre 150.000 et 180.000 Iraniens instruits demandent à quitter l’Iran chaque année.

Pour tenter de justifier un tel désastre et le masquer, Téhéran met en avant sa politique agressive d’ingérences au Moyen-Orient et son aventurisme souvent prenant la forme du terrorisme au-delà de ses frontières. Mais ces tentatives ont eu un effet boomerang qui se retourne durement contre le pouvoir en créant un gouffre financier et une impasse dangereuse aggravant un peu plus son isolement international.

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(1) Nader Nouri a été premier secrétaire et conseiller à l’ambassade d’Iran à Paris de 1980 à 1985, il a assuré la fonction de chargé d’affaires (chef de mission) pendant six mois en 1981.

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