Les trains autonomes : Plus sérieux que la voiture
Un article du Wall Street JournalQui vante les mérites du train autonome (dont la technologie existe depuis longtemps; La SNCF par exemple il y a une quarantaine d’années a renoncé au TGV autonome par crainte des réactions des passagers)
Au moment où les Etats-Unis sont confrontés à une pénurie de chauffeurs routiers et que les entreprises se demandent comment atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions de carbone, les trains — qui consomment quatre à cinq fois moins d’énergie que les camions par kilomètre — pourraient revenir sur le devant de la scène deux siècles après leur apparition
Les trains peuvent sembler être une technologie mature, sans véritable place pour les innovations ou la croissance : la création de nouvelles lignes ferroviaires a, en effet, un coût prohibitif, comme l’ont montré les querelles sur le prix du développement du réseau Amtrak (NDLR : entreprise ferroviaire publique). Mais les chercheurs qui étudient la question affirment que rendre les trains totalement autonomes pourrait améliorer leur sécurité et augmenter considérablement la quantité de marchandises pouvant être transportées sur le réseau ferroviaire américain, en l’exploitant plus efficacement.
Au moment où les Etats-Unis sont confrontés à une pénurie de chauffeurs routiers et que les entreprises se demandent comment atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions de carbone, les trains — qui consomment quatre à cinq fois moins d’énergie que les camions par kilomètre — pourraient revenir sur le devant de la scène deux siècles après leur apparition.
J’ai écrit sur les obstacles qui freinent les grandes ambitions des voitures autonomes. Mais les trains ont des caractéristiques qui leur permettent de contourner ces difficultés. Leur plus grand atout est qu’ils roulent sur des rails. Cela signifie qu’un conducteur d’un train équipé d’une intelligence artificielle n’a pas à se préoccuper des problèmes auxquels sont confrontés les conducteurs de voitures ou de camions — pas de véhicule trop collant, de changement de voie, de bifurcation à gauche en contresens de la circulation, etc.
« Nous pensons que les trains vont acquérir l’autonomie complète plus rapidement que les véhicules », déclare Maxim A. Dulebenets, professeur adjoint de génie civil à l’université A&M de Floride, qui a récemment publié une vaste recension de la littérature sur le sujet. L’une des raisons est que des centaines de trains de passagers fonctionnent déjà de manière autonome dans le monde sur les réseaux urbains de métros.
La première rame de métro complètement autonome a été inaugurée à Kobe, au Japon, en 1981, et la technologie n’a cessé de se propager depuis, se déployant de Paris à New Delhi, et de Sao Paulo à Vancouver. Le premier train de marchandises entièrement autonome au monde, qui traverse l’outback australien, a été mis en service sur des trajets réguliers en 2019 par la compagnie minière Rio Tinto. En janvier 2020, la Chine a commencé à exploiter un train à grande vitesse entièrement autonome entre Pékin et Zhangjiakou, la ville hôte des Jeux olympiques d’hiver 2022.
Un certain nombre d’autres essais de trains autonomes de passagers et de marchandises sont en cours. Les premiers tests d’une locomotive germano-néerlandais dédiée au fret desservant le port de Rotterdam ont commencé ce mois-ci. En France, la SNCF expérimente actuellement un train qui pourrait commencer à transporter des passagers dès 2023. Et aux Etats-Unis, un modèle de train de marchandises autonome, construit par New York Air Brake, a été testé dans le désert du Colorado en 2019.
Un futur incluant des trains autonomes pourrait permettre d’acheminer beaucoup plus de marchandises sur le réseau ferroviaire américain existant sans ajouter de nouvelles lignes, explique Nalin Jain, président groupe de la division électronique numérique chez Wabtec, un fabricant de trains basé à Pittsburgh, dont les origines remontent à plus de 150 ans. La technologie actuelle et celle à venir permettront aux trains d’être plus longs, de circuler avec moins de distance entre eux, et d’être démontés et remontés plus facilement dans les ports et les gares de triage, ajoute-t-il.
Une étude financée par l’Union européenne et publiée en 2020 a montré que le passage à des solutions plus récentes pour la gestion des trains pourrait accroître la capacité des réseaux ferroviaires existants dans des proportions allant jusqu’à 44 %. Une analyse interne de Wabtec indique qu’aux Etats-Unis, le gain pourrait être encore plus important — jusqu’à 50 %. Une hausse de cette ampleur des tonnes-kilomètres transportées par le réseau ferroviaire américain équivaudrait à faire voler chaque année d’une côte des Etats-Unis à l’autre un million de Boeing 747-10 en pleine charge.
Selon Jean-François Beaudoin, senior vice-président pour les solutions digitales chez Alstom, il est beaucoup plus difficile de faire rouler des trains autonomes sur des réseaux ferroviaires ouverts et partagés que sur des réseaux de métro en circuit fermé. Pour ce faire, il faut doter ces trains « d’yeux et d’oreilles », comme il les appelle, c’est-à-dire de capteurs capables de détecter les obstacles inattendus sur la voie
Malgré tous les progrès réalisés par les ingénieurs, les trains à conduite automatique ne sont pas prêts à être déployés n’importe où, avertit le docteur Dulebenets. La plupart des trains autonomes sont construits pour circuler sur de nouvelles voies dédiées qu’ils n’ont pas à partager avec d’autres, contrôlés par des humains. Ces réseaux plus modernes ne comportent généralement pas de zones à risque comme les passages à niveau, où la grande majorité des accidents impliquant des trains et des véhicules motorisés se produisent chaque année aux Etats-Unis.
Selon Jean-François Beaudoin, senior vice-président pour les solutions digitales chez Alstom, il est beaucoup plus difficile de faire rouler des trains autonomes sur des réseaux ferroviaires ouverts et partagés que sur des réseaux de métro en circuit fermé. Pour ce faire, il faut doter ces trains « d’yeux et d’oreilles », comme il les appelle, c’est-à-dire de capteurs capables de détecter les obstacles inattendus sur la voie.
La complexité du réseau ferroviaire américain, où de nombreuses lignes sont exploitées par plusieurs compagnies ferroviaires privées, a pour conséquence que l’automatisation de notre réseau pourrait être laborieuse — le processus « pourrait prendre des décennies », prévient le docteur Dulebenets. Faire en sorte que les trains autonomes cohabitent harmonieusement avec ceux conduits par des humains s’apparente aux problèmes posés par la technologie de conduite autonome partielle, dans laquelle l’homme et l’IA doivent être coordonnés de manière à ne pas se provoquer de désordre pour l’un et l’autre.
En matière de sécurité, note M. Beaudoin, « nous sommes beaucoup plus exigeants avec les machines qu’avec les humains, car nous avons beaucoup plus d’empathie pour un humain qui commet une erreur que pour une machine qui en fait une ». Un système de métro automatisé doit être conçu pour faire un million de fois moins d’erreurs qu’un technicien humain n’en ferait, résume-t-il.
La cybersécurité est un autre immense problème potentiel. Les trains peuvent peser entre 4 000 et 20 000 tonnes, transporter des matières dangereuses et mettre des kilomètres à freiner. Les télécommander, c’est exposer une telle masse au risque d’une prise de contrôle par des hackers, si les systèmes qui les pilotent ne sont pas d’une sécurité absolue.
Une des autres questions soulevées par les trains autonomes est d’ordre juridique : qui est responsable lorsque, de manière inévitable, un accident se produit ? Comme pour les voitures autonomes, le problème est que même si un système automatisé est plus sûr que la conduite humaine, il peut, en cas de défaillance, aboutir à un transfert de la responsabilité dans l’accident. Une vieille hypothèse en philosophie morale sur la prise de décision éthique — le fameux dilemme du tramway — pourrait devenir tout à fait concrète une fois que l’IA contrôlera entièrement un train.
En Australie, le premier train de marchandises autonome au monde — toujours le seul à l’heure actuelle —, intègre des capteurs et des systèmes de traitement à bord et à l’échelle du réseau, indique un porte-parole de Rio Tinto. Le train lui-même est doté de caméras, de radars et d’un système de détection des collisions, et la ligne qu’il emprunte est équipée de vidéosurveillance couvrant tous les passages à niveau ouverts à la circulation
Ces sujets mis à part, les trains américains sont déjà, à certains égards, étonnamment automatisés, rappelle Eric Gebhardt, directeur de la technologie chez Wabtec. La loi fédérale américaine exige, depuis décembre 2020, que tous les trains américains soient équipés d’un système de commande intégrale des trains (Positive Train Control, PTC), qui rappelle un peu les dispositifs de freinage d’urgence automatiques des voitures. Ce système empêche les trains d’entrer en collision entre eux, de rouler trop vite dans les virages ou de franchir des aiguillages mal paramétrés.
Comme cela s’est produit dans d’autres types d’infrastructures de transport, comme les ports, le passage aux systèmes autonomes pourrait se dérouler parallèlement à d’autres améliorations. La logique est la suivante : si l’on doit acheter une nouvelle locomotive ou apporter des améliorations importantes à un réseau ferroviaire, autant procéder à toutes les adaptations disponibles et économiquement rentables en même temps.
La prochaine étape de l’automatisation consistera à remplacer le block-système à voie fermée actuellement utilisé pour le maintien des distances de sécurité entre les trains — une conception dans laquelle les lignes ferroviaires sont divisées en bloc de longueur déterminée où un seul train à la fois est autorisé à circuler à la fois, poursuit M. Gebhardt. Un block-système à voie ouverte permet, en revanche, aux trains de se rapprocher les uns des autres, car le périmètre de sécurité situé devant et derrière se déplace avec le train. Le passage à cette solution nécessite toutefois de maintenir une communication constante entre les trains et un système central de régulation. Plusieurs entreprises clientes de Wabtec la testent déjà, ajoute M. Gebhardt.
L’étude de l’UE qui a montré que la capacité du réseau ferroviaire pourrait augmenter de moitié grâce à l’application de nouvelles technologies suppose également que ces trains utilisent un block-système à voie ouverte, géré par des ordinateurs embarqués dans les locomotives. Cela permettrait au train de communiquer avec celui qui le précède, de connaître son poids, la météo, ce qu’il fait et quand il va freiner. Un des avantages des réseaux ferroviaires est qu’ils sont déjà truffés de signaux et de capteurs, de sorte qu’une partie de l’« intelligence » nécessaire au contrôle d’un train peut être intégrée à la voie elle-même, et que les décisions concernant leur vitesse peuvent être prises à distance.
En Australie, le premier train de marchandises autonome au monde — toujours le seul à l’heure actuelle —, intègre des capteurs et des systèmes de traitement à bord et à l’échelle du réseau, indique un porte-parole de Rio Tinto. Le train lui-même est doté de caméras, de radars et d’un système de détection des collisions, et la ligne qu’il emprunte est équipée de vidéosurveillance couvrant tous les passages à niveau ouverts à la circulation.
Rio Tinto surnomme son train automatisé « le plus grand robot du monde », une description qui semble correspondre à la réalité. Selon le professeur Dulebenets, les problèmes à résoudre pour créer et déployer des trains automatisés à travers le monde sont les mêmes que ceux auxquels les robots sont confrontés dans tous les autres domaines. Qu’il s’agisse de leur acceptation par le public, de la communication entre eux et avec les conducteurs d’autres véhicules ou de la recherche de nouveaux rôles pour les employés qu’ils pourraient évincer de leurs postes actuels, le principal obstacle à l’adoption des trains autonomes, c’est nous.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)
0 Réponses à “Les trains autonomes : Plus sérieux que la voiture”