Vers une catastrophe écologique ?
L »essayiste Ferghane Azhari s’emploie à déconstruire la critique écologiste de nos sociétés démocratiques et de leur développement économique, en montrant les a priori des arguments « verts ».( analyse de la Tribune, extrait))
« Catastrophisme », « collapsologie », « extinction », « décroissance »… Ces termes qui annoncent la fin du monde font partie d’un discours écologiste politique martelé au quotidien, qui voit dans le développement économique, industriel, le progrès en général, le plus court chemin qui va nous précipiter dans l’abîme. Dans « Les Écologistes contre la modernité » (1), l’essayiste Ferghane Azihari, analyste en politiques publiques, prend le contre-pied de ce pessimisme, en montrant qu’au regard des faits, cette vision du monde devenue une véritable religion matinée de paganisme est non seulement fausse mais dangereuse.
Au-delà de la démonstration des progrès matériels que l’auteur mène en se basant sur des faits et des données qui montrent l’amélioration des conditions de vie des êtres humains dont profitent ceux-là mêmes qui les dénoncent, l’intérêt de l’ouvrage est aussi de chercher les raisons d’une telle vision pessimiste, voire nihiliste.
Critique du capitalisme
La première est d’être une critique du capitalisme. Avec l’essoufflement du mouvement ouvrier qui s’était développé concomitamment à la révolution industrielle, le rejet des expériences réelles du communisme en Union soviétique ou encore dans la Chine maoiste, la perte d’influence du marxisme comme grille d’analyse de nos sociétés, il était nécessaire de trouver une idéologie de substitution pour critiquer le mode de production capitaliste, et sa vision bourgeoise. L’écologie politique s’est donc substituée au marxisme du siècle dernier comme critique dominante des sociétés modernes. Or comme le remarque l’auteur : « Opposer l’embourgeoisement du monde à la qualité de l’environnement n’a pourtant aucun intérêt. L’idée qu’il suffirait de s’affranchir du matérialisme pour assainir notre planète ne correspond à aucune réalité historique ou géographique. Les pays les plus propres et les plus résilients face aux aléas naturels sont les plus riches : ceux qui ont les moyens de se doter des technologies les plus avancées. Le changement climatique ne change pas le fait que le progrès économique et technologique reste le moyen le plus juste et le plus sûr de lutter contre les nouveaux risques, sans renoncer à améliorer le sort des pauvres. Une société d’abondance pour tous est donc possible et souhaitable. »
Vision malthusienne
La deuxième raison est la persistance de la vision malthusienne. Celle-ci voit dans la croissance de la population et la limite de la consommation – le fameux « monde fini »- une contradiction qui nous mène à la catastrophe. Pourtant, c’est le contraire que nous avons vu. Il y avait 1,7 milliard d’êtres humains en 1900, nous étions 7,8 milliards en 2020. Durant ces 120 ans de développement économique, les taux de pauvreté et de famine n’ont cessé de baisser tendanciellement, grâce notamment aux progrès technologiques – hausse des rendements agricoles, mécanisation de l’agriculture, meilleure distribution des produits… – Paradoxalement, cette réussite est aujourd’hui exhibée comme un échec.
Déjà, le malthusien rapport Meadows élaboré par le Club de Rome prédisait les pires catastrophes, comme la fin du pétrole en 2000 ou la pollution des mégapoles! Malgré le démenti infligé par la réalité, ce rapport reste encore une référence fondamentale de l’écologisme aujourd’hui. Or, constate Ferghane Azihari : « Une large population permet, par le biais des économies d’échelle, de lourds investissements dans des technologies développées. C’est pourquoi les villes sont mieux dotées que les campagnes en infrastructures essentielles. »
Outre le progrès technologique, le marché libre permet également de réguler – c’est-à-dire freiner ou augmenter la demande – par les prix l’adaptation aux besoins. « Toutes choses égales par ailleurs, la raréfaction d’un bien augmente son prix. Cette augmentation invite les producteurs appâtés par le profit à trouver des méthodes plus sophistiquées pour produire ce bien. Parallèlement, sa cherté régule sa consommation. Elle incite à sa conservation. Elle invite le consommateur à la modération. Ces attitudes ont pour effet de réserver la ressource aux usages les plus productifs », explique l’auteur.
Dans ce cas aussi, ce principe qu’appliquent quotidiennement tous les consommateurs que nous sommes semble ne plus exister tant il est ancré en nous. En effet, contrairement à une idée reçue, la concurrence incite à trouver des alternatives – d’où le fait que le cerveau humain et la coopération pour trouver des solutions sont bien le moteur de la civilisation -, à faire plus avec moins, ce qui économise les ressources, ou à chercher d’autres solutions de substitution, comme l’illustre par exemple le développement du recyclage ou le succès des échanges de produits d’occasion entre particuliers sur certaines plateformes numériques.
Le troisième point est l’opposition classique entre naturel et artificiel, avec ce désir de rechercher ce qui est authentique. Elle concerne une écologie plus ancrée à droite, ou inspirée par une forme de romantisme à l’égard d’un passé idéalisé ou du respect d’une tradition figée, que résume le sempiternel : « c’était mieux avant ». « L’écologie réactionnaire est le pendant droitier de la tentation de préempter la nature pour recycler un agenda politique sans rapport avec l’environnement. Là où la gauche voit dans l’écologie un prétexte pour ressusciter l’anticapitalisme, le réactionnaires voient dans le mythe de la nature vierge l’opportunité d’étendre le rejet de la modernité aux questions sociales. Il s’agit de verdir l’éternelle haine du pluralisme des mœurs et du cosmopolitisme qui constitue la modernité », souligne l’auteur. Il y a une nostalgie millénaire d’un passé vécu comme un paradis – une persistance d’un Eden dont Adam et Eve ont été chassés pour avoir goûté au fruit défendu – qui n’a jamais existé.
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Loin donc de voir à l’horizon un avenir sombre, l’ouvrage de Ferghane Azihari réfute nombre de sophismes sur l’écologie qui à force d’être martelés sont devenus des dogmes sur la scène médiatique. Au contraire, en examinant ce qui se passe réellement, il montre que l’action menée en connaissance de cause avec ses essais et erreurs vaut toujours mieux que le prophétisme : « Prométhée nous a donné le feu sacré de l’Olympe. A nous d’en faire bon usage en ignorant ceux qui ne rêvent que d’humilier les hommes », conclut-il, en nous encourageant à nous occuper réellement de ce monde-ci, et à délaisser les promesses d’un autre monde d’autant plus parfait qu’il est idéalisé.
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Ferghane Azihari, « Les Écologistes contre la modernité. Le procès de Prométhée », éditions Les Presses de la Cité, 240 pages, 18 euros.
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