La libération de l’Afrique par l’éducation
« Seul l’Africain grâce à l’éducation, se libérera de cette histoire qui fait qu’il ne voit pas sa relation avec la France comme entre tuteur et pupille »
Urbaniste et écrivain d’origine camerounaise, Gaston Kelman est l’auteur de Je suis noir et je n’aime pas le manioc.Il explique que la libération de l’Afrique passera par l’éducation.(L’Opinion). Dans une interview Il remet à plat les responsabilités réciproques.
Emmanuel Macron a-t-il réussi à rompre avec la Françafrique ?
Le malheur de l’Afrique, c’est que tout le monde intervertit l’ordre des responsabilités. Le président Macron a-t-il les moyens de mettre fin à la Françafrique ? Naïveté, inculture, on s’interroge. Seul l’Africain grâce à l’éducation, se libérera de cette histoire qui fait qu’il ne voit pas sa relation avec la France comme entre égaux, comme un partenariat, mais comme entre tuteur et pupille. Césaire écrit : « On avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui ; qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin. » M. Macron est très intelligent. Il a de bonnes intentions. Mais il reste le produit d’une éducation. Du bébé dans son berceau au président de la République, tout l’Occident veut aider l’Afrique. Macron veut aider l’Afrique. L’Afrique demande l’aide de Macron. La France peut-elle mettre fin à la Françafrique ? Après la Françafrique politique dont on pense qu’elle vacille, la Françafrique intellectuelle. On parle aussi de société civile… On pense toujours à la place de l’Afrique.
La cooptation d’intellectuels africains comme Achille Mbembe va-t-elle permettre de refonder la relation sur de nouvelles bases ?
Pour répondre à cette question, écoutons M. Mbembe lui-même. Pour lui, l’Afrique est un peuple d’avachis, de lobotomisés ; ses nations des satrapies, les dirigeants des momies. L’intellectuel dans toutes les civilisations est au service de son groupe car, pour construire une nation, on a besoin de l’homme de pensée et de l’homme d’action. M. Mbembe incarne la haine de soi postcoloniale que théorisent Fanon ou Césaire, celui dont « on avait fourré dans la pauvre cervelle… ». Il se tourne vers la France, lui attribue le beau rôle : développer l’Afrique, y créer des Etats de droit, la démocratie. La France doit imposer des valeurs en Afrique, ne pas faire comme la Chine, la Russie, la Turquie. La mission civilisatrice dans toute sa splendeur. Il a déclaré qu’avec Macron, la Françafrique, c’est fini. On n’en demandait pas tant. Ecoutons enfin M. Mbembe du temps où il disait que, même quand le postcolonisé croit exprimer sa pensée la plus profonde, il ne sait pas à quel point il est la voix de son maître. A votre avis, de qui dressait-il le portrait ? Je vous passe le syndrome de l’évolué — être le meilleur, digne de la cooptation. Achille Mbembe est d’autant plus dangereux qu’il est flamboyant, prolixe, et pas conscient de son aliénation et de tout le mal qu’il se fait. Quand on insulte sa mère, on en souffre.
Comment percevez-vous l’offensive de charme de l’Elysée envers les « diasporas africaines » ?
Cette surenchère sur la diaspora, comme la nouvelle panacée, m’agace. En plus, je suis homme de lettres. Pour moi, le mot a du sens. Il n’y a pas de diaspora, il y a l’immigré qui est dans une démarche égoïste fort logique. L’immigration est une aventure individuelle. La diaspora est une construction de groupe, une longue sédimentation. L’immigré ne fonctionne donc pas comme la diaspora. Quand on rate cette analyse, on se fourvoie. Ceci étant, l’immigré peut aider la France à changer son regard sur l’Afrique. Mais aussi longtemps que ceux qui disent du mal de l’Afrique dans une quête de reconnaissance égoïste feront notre bonheur, on en est loin. Plutôt que de fustiger le sentiment anti-français, il faut l’analyser. Il faut comprendre les causes du « piège africain ». Un vrai travail de fond avec les descendants de l’immigration va y aider. Mais il faut sortir des coups ponctuels et construire une dynamique.
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