Crise des sous-marins : une réponse de l’Europe après la claque ?
Clément Beaune, le secrétaire d’Etat aux affaires européennes appelle l’Union européenne à prendre en main son destin de grande puissance. On ne sait pas cependant s’il s’agit d’un espoir ou d’une perspective crédible. On est encore loin en effet d’une politique de défense commune en Europe compte tenu de la position ambiguë de l’Allemagne. De toute manière Emmanuel Macron n’envisage nullement de quitter l’OTAN. ( interviews dans le JDD, extrait)
Il y a quatre ans jour pour jour, dans son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron appelait de ses vœux la « refondation d’une Europe souveraine ». Son souhait a-t‑il été suivi d’effet?
En quatre ans, l’Europe a profondément changé. Elle a subi un double choc : d’abord avec le Brexit, puis avec la crise sanitaire et économique qui a été gérée avec succès, sans dogmatisme budgétaire, avec une intervention monétaire massive et une solidarité sanitaire qui n’était pas du tout évidente. En parallèle de cela, elle s’est renforcée en étant souveraine en matière de technologie, ambitieuse en matière de climat, à la pointe de la régulation sur les grandes entreprises du numérique. Elle a amélioré la gestion de ses frontières extérieures, créé un premier budget européen de défense. Nous avons mobilisé au Sahel plus de dix pays européens aux côtés des forces spéciales combattantes françaises. Son logiciel n’est plus du tout celui de 2017. Nous ne sommes plus les herbivores de la mondialisation. Les Européens ne tendent plus la joue quand on les gifle. Cette mentalité de bons élèves qui doivent toujours chercher à tendre la main ou à s’excuser recule de jour en jour.
Est-ce encore plus le cas après l’affaire des sous-marins australiens?
Cette crise est un bon exemple. Elle a montré que la solidarité entre États membres est désormais un réflexe. Assez rapidement, au plus haut niveau, de nombreux pays se sont exprimés. Les déclarations allemandes ou italiennes sont très claires : quand un problème de cette nature touche la France, c’est un camouflet européen. Certains de nos alliés pensent que la parole engagée vis‑à-vis d’un grand pays européen ne vaut rien, que l’on peut travailler sur des questions stratégiques, dans une région aussi cruciale que l’Indo-Pacifique sans les Européens. Non, nous nous tenons ensemble.
Comment, après cette crise des sous-marins, reconstruit-on la relation entre la France et l’Europe d’un côté, les États-Unis de l’autre?
La relation transatlantique reste nécessaire, on ne peut s’en dispenser. Il n’y a pas de débat là-dessus. Mais les Européens doivent prendre conscience que leurs intérêts se définissent à Bruxelles et dans les autres capitales européennes, pas à Washington. Qu’il s’agisse récemment de l’Afghanistan ou des sous-marins australiens, nous ne devons pas nous lamenter d’avoir été « maltraités ». Nous serons de plus en plus livrés à nous-mêmes : ça s’appelle être une puissance. L’Europe a toujours été tournée vers elle-même, car elle s’est construite sur un projet de réconciliation. L’étape suivante, c’est une Europe qui règle sa relation à l’extérieur, qu’il s’agisse des migrations, de la défense, de la régulation des grandes plateformes numériques ou du climat. Nous ne pouvons pas attendre des autres de définir cette relation, comme nous le faisions au temps de la guerre froide, qu’on a connue pendant soixante ans.
Le Président réfléchit-il, après cette crise, à quitter l’Otan?
Ce sont de pures inventions.
Que peut impulser la France, qui prendra le 1er janvier la tête de la présidence de l’Union européenne, sur ce thème de la défense?
Nous continuerons d’avancer sur la question des opérations extérieures communes, comme au Sahel, mais aussi sur la cybersécurité. Toutes nos démocraties, malheureusement, sont soumises à des cyberattaques privées ou d’État. Nous avons développé des compétences importantes sur ce sujet. Nous ne devons pas tout attendre des Américains, ni tout faire non plus au seul niveau national.
Que peut-on attendre du nouveau couple franco-allemand, alors qu’ont lieu aujourd’hui outre-Rhin des législatives pour choisir un nouveau chancelier?
C’est à la fois un chapitre majeur qui se tourne, avec le départ prochain d’Angela Merkel, et en même temps il n’y aura aucun changement dans l’importance de la relation franco-allemande. Celle-ci n’est pas remplaçable. Nos projets en matière de coopération économique, industrielle, de défense sont irréversibles. En revanche, cette relation n’est pas exclusive. Nous la complétons aujourd’hui avec des partenaires traditionnels comme l’Italie et l’Espagne, d’autres moins évidents comme les Pays-Bas et les pays nordiques. Nous acceptons même des tensions avec l’Allemagne. C’est précisément parce qu’on ne pense pas pareil à Paris et à Berlin que nous trouvons des consensus au niveau européen, comme ce fut le cas avec le plan de relance. Mais la boussole est claire : le nouveau chancelier regardera d’abord vers Paris, et la France tendra tout de suite la main à l’Allemagne.
Quelle que soit son appartenance politique?
Oui, car nous avons préparé cette relation de confiance, en premier lieu avec Angela Merkel, mais en cultivant aussi depuis quatre ans nos réseaux parmi les chefs de parti. Selon le chancelier, les domaines plus faciles ou difficiles ne seront pas les mêmes. Le SPD ou les Verts ont des sensibilités plus éloignées des nôtres sur les questions d’énergie ou de défense, la CDU et le FDP sur les questions d’investissement et de règles budgétaires. Lorsque le programme de coalition va se construire, sans immixtion mais sans indifférence non plus, nous travaillerons avec les Allemands pour faire passer un certain nombre d’idées sur l’Europe. La période de définition du contrat de coalition est essentielle : elle ne peut pas être une période de glaciation ou de distance entre Paris et Berlin, elle doit déjà être une période de travail.
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