Politique- Présidentielle 2022 : Le mythe de l’homme providentiel
Pour l’historien Jean Garrigues, à chaque fois qu’elle a été confrontée à une situation de crise, la République a eu la tentation de se trouver un sauveur, notion pourtant bien éloignée de nos aspirations à la démocratie participative et à l’horizontalité.( Le Monde, extrait)
Tribune.
A proximité d’une nouvelle élection présidentielle, voilà que réapparaît le syndrome du sauveur, notre fascination séculaire pour l’homme providentiel. A sept mois du scrutin, ils sont déjà trois à s’inscrire dans cette mythologie récurrente, qui nous hante depuis Napoléon Bonaparte. Le premier en lice a été Xavier Bertrand, se présentant comme le candidat à l’écoute des régions, refusant de se plier aux règles de son parti, défiant le président des élites au nom du peuple des terroirs. Puis est apparu Arnaud Montebourg, qui, lui aussi, a choisi de contourner les règles de sa famille politique pour se forger une image de sauveur, porte-parole des mécontents, des insatisfaits, chevalier du « made in France » face aux technocrates européanisés.
L’un et l’autre essaient de faire oublier qu’ils ont été au pouvoir, partie intégrante de ce « système » qu’ils prétendent aujourd’hui combattre, et profondément associés aux errements politiques qui ont conduit à la crise actuelle de la démocratie. C’est ainsi que deux chevaux de retour de l’establishment politique se refont une virginité hors du circuit traditionnel de la candidature, misant, non sans pertinence, sur le rejet des partis et sur la personnalisation du rendez-vous présidentiel.
Mais ils seront peut-être bientôt rejoints par une autre figure d’extériorité, plus proche encore de l’archétype de l’homme providentiel : Eric Zemmour. Ce dernier aura en effet beau jeu de se revendiquer comme le seul candidat antisystème, n’ayant jamais été associé au pouvoir politique. Par ailleurs, ses thématiques ultranationalistes, notamment son anti-européisme viscéral et sa thèse du « grand remplacement », l’inscrivent dans la lignée du sauveur populiste que fut, à la fin du XIXe siècle, le général Boulanger.
Surnommé le « général Revanche », il apparut aux Français comme le seul capable de redonner à la nation l’honneur qu’elle avait perdu lors de la défaite de 1871. Cela dit, et à l’instar de Boulanger, qui était un familier du pouvoir, il est évident qu’Eric Zemmour fait lui aussi partie, depuis des années, des élites médiatico-politiques qui se partagent l’espace public. C’est une sorte de mirage que de le faire apparaître comme le chevalier immaculé de la régénération, lui qui est en réalité un pur produit du système. Mais la politique se nourrit justement de mirages.
Et si l’on peut avoir des doutes sur la légitimité, l’authenticité et l’éthique de leurs personnalités et de leurs programmes, ces trois candidats potentiels peuvent prétendre ranimer la flamme toujours vive de l’homme providentiel. Comme l’écrit François Mitterrand dans Le Coup d’Etat permanent (Plon, 1964), « les temps du malheur sécrètent une race d’hommes singulière qui ne s’épanouit que dans l’orage et la tourmente ». A chaque fois qu’elle a été confrontée à une situation de crise, la République a eu la tentation d’un homme providentiel, d’un héros, d’un sauveur capable de nous délivrer de nos malheurs et de nos incertitudes.
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