Mali: comme le Pakistan ?
La France doit tirer les leçons du retrait américain pour se sortir du piège malien, analyse, dans une tribune au « Monde », le politiste Marc-Antoine Pérouse de Montclos. (extrait)
Tribune.
Saïgon 1975, Kaboul 2021, Bamako 2025 ? Faudra-t-il un jour envoyer un hélicoptère évacuer l’ambassadeur de France au Mali dans un pays occupé par des forces djihadistes ? La question n’est pas complètement incongrue quand on songe au départ précipité des Américains au Vietnam autrefois, ou en Afghanistan aujourd’hui.
D’un terrain de crise et d’une puissance à l’autre, on connaît bien les limites des interventions militaires occidentales. Seuls les décideurs politiques semblent ne pas vouloir apprendre de leurs échecs.
L’évolution des discours officiels sur la menace djihadiste au Sahel est assez significative à cet égard. Pour justifier l’engagement militaire de la France dans la zone, les opérations « Serval » en 2013, puis « Barkhane » à partir de 2014, ont d’abord été présentées comme des interventions destinées à empêcher que le Mali devienne une plate-forme du terrorisme international, une sorte de « nouvel Afghanistan ». A l’époque, la comparaison paraissait s’imposer d’elle-même et il était de bon ton de parler de « Sahelistan » ou de « croissant de la terreur » dans la perspective d’un « arc de crise » qui aurait puisé ses racines au Moyen-Orient et en Asie centrale.
La dégradation de la situation à Kaboul a cependant fini par obliger l’Elysée à revoir ses éléments de langage. Désormais, la comparaison avec l’Afghanistan est mal venue : à l’approche des élections, Emmanuel Macron ne veut pas être le président qui devra gérer une retraite humiliante au Mali à cause des erreurs stratégiques de son prédécesseur.
A mesure que l’opération « Barkhane » s’ensablait, qui plus est, les décideurs politiques ont progressivement pris conscience de l’importance des dynamiques locales d’insurrections hâtivement qualifiées d’islamistes. Il aura fallu huit ans pour que l’Elysée reconnaisse publiquement que l’armée française ne pouvait pas se substituer à des Etats défaillants au Sahel, un constat déjà fait par certains chercheurs dès 2013.
Pour peu que l’on accepte de s’affranchir des poncifs habituels sur l’existence d’une Internationale islamiste, force est alors d’admettre que, en dépit de certaines similitudes iconographiques et rhétoriques, les groupes insurrectionnels du Mali sont très différents des talibans afghans qui ont pris le pouvoir à Kaboul en 1996 puis en 2021.
La preuve, c’est qu’ils ne se sont jamais emparés de la capitale et n’ont pas la capacité de gouverner le pays. Sur le terrain, ils ont seulement réussi à tenir des pans de territoire et se sont brièvement rompus à l’exercice du pouvoir après la prise de Tombouctou et de Gao en 2012. A l’époque, les diverses factions en compétition poursuivaient chacune leur propre agenda et la mouvance d’Iyad Ag-Ghali a très vraisemblablement désobéi aux instructions d’Al-Qaida lorsqu’elle a entrepris de descendre vers le Sud en provoquant une réaction massive de la communauté internationale. C’est l’intervention militaire de la France qui, à partir de 2013, a ressoudé ces groupes autour d’un ennemi commun.
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