Hausse du prix du gaz : L’Europe responsable
Le prix du gaz est en forte augmentation depuis le début de l’été en Europe et en Asie. Le 15 septembre, il a atteint 79,31 euros le mégawattheure, un plus haut historique sur le marché européen, avec une augmentation de plus de 30 % en une semaine. Plus de 40 eurodéputés ont demandé à la Commission d’ouvrir une enquête sur les agissements du fournisseur russe Gazprom, qu’ils suspectent de manipulation du marché. Le sujet devrait s’inviter à la table des ministres européens de l’Energie, qui se réunissent mercredi et jeudi.
Par Thierry Bros est professeur à Sciences Po, spécialiste de la géopolitique de l’énergie, considère que l’Europe est responsable de la flambée des prix du gaz( l’Opinion, extrait)
Comment expliquez-vous l’augmentation du prix du gaz ?
Pour bien comprendre l’évolution d’un marché, il faut regarder trois variables. Commençons par la demande, qui revient au même niveau que 2019, après avoir baissé pendant la pandémie. Or, pendant ce temps-là, les industriels ont très peu investi, ce qui est à l’origine d’un déclin naturel des champs de gaz, occasionnant une baisse d’environ 1 % des capacités de production mondiales en dix-huit mois et donc une offre plus faible. Dernière variable : les stocks, qui baissent mécaniquement quand le marché est tendu, et sont actuellement très bas pour la période.
La Russie cherche-t-elle à tendre le marché pour obtenir la mise en service du gazoduc Nord Stream 2 ?
Je ne crois pas. La mise en service d’un gazoduc est compliquée techniquement, et Nord Stream 2 (NS2) ne sera sans doute pas opérationnel avant plusieurs années. Pour l’heure, Gazprom dévoile ses objectifs d’exportations vers l’Europe en précisant « avec ou sans NS2 ». D’un autre côté, il est vrai que la Russie exprime son mécontentement par son attitude. Gazprom remplit ses obligations contractuelles mais refuse de faire transiter des volumes additionnels via l’Ukraine. Moscou est mécontent car à Bruxelles, le dogme a changé : ce qu’on appelait « gaz naturel » est devenu « gaz fossile ». Je crois donc que les Russes voudraient que les Européens fassent le geste que Joe Biden a consenti sur le pétrole par rapport à l’Opep le 11 août : reconnaître qu’ils ont besoin de plus de gaz. Enfin, les règles de concurrence européenne imposent qu’aucun opérateur ne dépasse 40 % du marché. Gazprom ne peut donc pas faire transiter plus de gaz, à moins de s’exposer à une enquête de la Commission.
Pour vous, les Européens sont donc les principaux responsables de l’augmentation du prix du gaz ?
Absolument, oui. Les responsables politiques et l’Agence internationale de l’énergie diabolisent le gaz et disent qu’il ne faut plus investir. Avec le Pacte vert, la Commission ne se focalise que sur l’hydrogène à l’horizon 2050 en omettant de dire comment les Européens vont se chauffer et se nourrir d’ici là. On va se retrouver dans une situation de rationnement par le prix, mais personne ne le dit aux peuples. Et pour éviter les black-out, on risque de devoir rallumer les centrales à charbon, comme on le fait déjà dans certains pays européens. Sans compter que l’augmentation des prix affecte encore plus durement les pays asiatiques comme l’Inde.
« Soit on continue, face à des prix élevés, à faire de plus en plus de “chèques énergie” pour permettre aux consommateurs de payer leurs factures. Soit on revient aux fondamentaux en se focalisant de nouveau sur notre sécurité d’approvisionnement à des coûts acceptables »
Que peut-on attendre de la réunion des ministres de l’Energie européens ?
Ils ne sont certainement pas en capacité de freiner la flambée des prix. Mais ils sont à la croisée des chemins : maintenant que nous sommes à quelques mètres du mur, faut-il encore accélérer ou essayer de minimiser les dégâts ? Soit on continue, face à des prix élevés, à faire de plus en plus de « chèques énergie » pour permettre aux consommateurs de payer leurs factures. Soit on revient aux fondamentaux en se focalisant de nouveau sur notre sécurité d’approvisionnement à des coûts acceptables.
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