Sous-marins: les vraies raisons du revirement australien

Sous-marins: les vraies raisons du revirement australien

Par Rhiannon Hoyle Du Wall Street Journal (extrait)

L’Australie, qui dépend du marché chinois pour plus d’un tiers de ses exportations, a longtemps adopté une attitude prudente d’équilibriste, passant au-dessus des désaccords politiques pour préserver des conditions économiques favorables. Le nouveau partenariat de sécurité conclu avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni arrive au terme de six années tumultueuses au cours desquelles les relations avec Pékin se sont détériorées, sur fond de colère contre ce qui a été perçu comme de l’intimidation économique et des campagnes destinées à influencer la politique venant de Chine.

Le Premier ministre Scott Morrison a justifié le renforcement de son alliance avec Washington en expliquant que l’Australie devait intervenir davantage pour s’assurer que les voies de circulation maritimes restent ouvertes et s’impliquer davantage dans la protection de l’Etat de droit dans la région indo-pacifique. Dans ses conditions, la stratégie militaire consistant, pour l’Australie, à s’appuyer sur des sous-marins classiques de fabrication française n’était plus adaptée alors que, selon lui, ils sont plus lents et ne peuvent pas rester aussi longtemps immergés que les engins nucléaires.

« L’environnement sécuritaire relativement calme dans lequel l’Australie a vécu pendant de nombreuses décennies appartient au passé », a commenté M. Morrison.

Pendant des années, l’Australie a essayé de maintenir l’équilibre entre ses liens militaires forts avec les Etats-Unis — qui se sont notamment traduits par le déploiement de soldats en Irak et en Afghanistan — et une dépendance économique accrue à l’égard de la Chine, qui a eu besoin d’importer des matières premières australiennes, comme du minerai de fer, pour s’industrialiser rapidement.

Les relations entre les deux pays ont atteint leur apogée en 2015, lorsque Canberra et Pékin ont signé un accord de libre-échange qui s’est traduit par un niveau record d’investissements chinois dans l’île-continent l’année suivante. Mais les choses se sont rapidement dégradées quand l’Australie a accusé la Chine d’ingérence dans sa politique nationale et a interdit à Huawei de participer au déploiement de son infrastructure 5G.

L’an dernier, après la demande de M. Morrison d’enquêter sur l’origine du virus responsable de la pandémie de Covid-19, la Chine a notamment institué des droits de douane élevés sur l’orge australienne, suspendu les importations de bœuf en provenance de certains abattoirs et imposé des droits antidumping sur le vin. Jeudi, les Etats-Unis ont qualifié ces mesures de « coercition économique ».

Pékin, de son côté, invoque la protection de sa souveraineté nationale pour justifier le renforcement de ses moyens militaires et estime que l’Australie est responsable de la détérioration des relations diplomatique et commerciale. La Chine, qui figure parmi les six pays disposant de sous-marins nucléaires, a globalement augmenté son budget militaire.

Dans le cadre d’un contrat signé en 2016, Canberra comptait alors s’appuyer sur une flotte de douze sous-marins à moteur diesel construits sur la base d’une technologie française.

La semaine dernière, M. Morrison a annulé cet accord, déclenchant l’ire de son allié européen, qui a vécu cette décision comme une trahison. Selon le Premier ministre, ce choix est en partie lié à l’apparition d’une nouvelle option : l’administration Biden a, en effet, accepté de partager la technologie de ses sous-marins nucléaires, un privilège qui n’avait jusqu’ici été accordé qu’au Royaume-Uni.

« La morale de cette histoire est que l’Australie pense que la meilleure façon de gérer le risque militaire que pose la Chine est de se rapprocher de plus en plus des Etats-Unis, et d’augmenter considérablement ses capacités maritimes », analyse Sam Roggeveen, directeur du programme sur la sécurité internationale au sein du Lowy Institute, un think tank australien.

Jusqu’ici, M. Roggeveen avait des doutes sur la volonté américaine de s’impliquer durablement dans le maintien de la sécurité dans la région. « Il faut admettre que nous avons désormais des preuves solides du contraire », observe-t-il.

Pour Ashley Townshend, expert en sécurité au United States Studies Centre, qui fait partie de l’université de Sydney, les sous-marins à propulsion nucléaire sont plus dissuasifs parce qu’ils n’ont pas besoin remonter périodiquement à la surface pour se ravitailler. Concrètement, cela signifie que l’Australie pourra accroître sa capacité de patrouille dans les zones de tensions potentielles, comme la mer de Chine méridionale et le détroit de Malacca, pour participer à la surveillance alliée. Les sous-marins à propulsion nucléaire sont également capables de se déplacer plus rapidement, ce qui réduit leur risque d’être détectés.

M. Morrison assure avoir fait part de ses craintes au président français Emmanuel Macron lors d’un dîner à la fin de juin. Son inquiétude était de savoir si les sous-marins classiques seraient capables de répondre aux tensions sécuritaires dans la région. En annulant le contrat français, l’Australie s’assoit sur environ 1,7 milliard de dollars déjà consacrés au programme, sans compter les frais de rupture.

Restaurer sa relation avec la France n’est pas le seul problème qui attend l’Australie après avoir opté pour des sous-marins à propulsion nucléaire. L’Australie est en effet l’un des alliés des Etats-Unis particulièrement vulnérable en cas de représailles chinoises, car ce pays absorbe un tiers de ses exportations — et la majorité du minerai de fer australien, de loin sa première source d’exportation.

De plus, les sous-marins à propulsion nucléaire coûtent plus cher que leurs homologues français et vont nécessiter d’augmenter les dépenses militaires à un moment où l’économie australienne est à nouveau sous pression à cause de mesures de couvre-feu liées à la pandémie.

M. Morrison a assuré qu’il ne taillerait pas dans d’autres dépenses militaires pour financer ce surcoût. L’Australie consacre aujourd’hui environ 2,2 % de son PIB à sa défense, contre environ 1,8 % il y a dix ans. Et le Premier ministre a prévenu qu’il faudra investir davantage. « Voici à quoi ressemble la nouvelle ère. Voici ce que c’est d’évoluer dans un nouveau monde », a-t-il commenté.

Le partenariat de sécurité avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni prévoit également l’achat de missiles de croisière Tomahawk, et M. Morrison a évoqué une collaboration contre d’autres menaces, en recourant notamment à l’intelligence artificielle et la cybersécurité. L’an dernier, M. Morrison avait révélé que des entreprises et des administrations publiques australiennes avaient été la cible d’un acteur étatique dans le cadre d’une cyberattaque d’ampleur.

Michael Shoebridge, directeur du programme de sécurité nationale à l’Australian Strategic Policy Institute, un groupe de réflexion financé par le gouvernement, estime que les dépenses militaires pourraient atteindre 3 % du PIB au cours de la prochaine décennie, voire plus si la sécurité régionale se dégradait encore.

« Trois pour cent, cela reste peu pour assurer la sécurité dans un monde dangereux », affirme-t-il.

Traduit à partir de la version originale en anglais

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