Sous-marins australiens: La naïveté de Macron

Sous-marins australiens: La naïveté de Macron

Par Michel Ferrand est avocat au barreau de Paris, associé chez Enthémis.(dans l’Opinion, extrait)

 

Une grosse colère et puis après ? Il est fort à parier que tout rentrera dans l’ordre transatlantique, une fois l’annulation du contrat australien (mal) digérée par la France.

Samedi soir, sur France 2, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a eu, une nouvelle fois, des mots très durs au sujet des Etats-Unis et de l’Australie, parlant d’une « crise grave » : « Il y a eu mensonge, il y a eu duplicité, il y a eu rupture majeure de confiance, il y a eu mépris, donc ça ne va pas entre nous, ça ne va pas du tout. » Il se murmure que le chef de la diplomatie française, très engagé sur ce dossier lorsqu’il était ministre de la Défense lors du quinquennat précédent, aurait refusé de prendre au téléphone son homologue américain Antony Blinken.

Vendredi, on apprenait que les ambassadeurs de France à Washington et Canberra avaient été rappelés à Paris pour consultations. Une décision symboliquement forte, mais sans conséquences pratiques. C’est la troisième fois qu’Emmanuel Macron l’utilise… et toujours avec des alliés : l’Italie (2019), la Turquie (2020) et aujourd’hui les Etats-Unis et l’Australie. Pourtant partie prenante de l’accord AUKUS, le Royaume-Uni n’est pas concerné. Il faut sans doute y voir le dédain dans lequel la diplomatie française tient Londres, dont Jean-Yves Le Drian a dénoncé « l’opportunisme permanent ». Déjà fâchés sur le Brexit et la migration transmanche, Paris et Londres restent toutefois liés par des accords de défense (Lancaster House, 2010) assez engageants.

Pour l’heure – et de manière très inhabituelle, quand on connaît sa propension à parler – le président Macron n’est pas intervenu directement, laissant, pour une fois, la vedette à son ministre Le Drian. Il est possible qu’il se réserve pour son discours (en visio) devant l’Assemblée générale des Nations Unies, mardi 21 septembre.

A Paris, le coup a été rude. On y jure ses grands dieux que l’on n’a rien vu venir. Il est vrai que, le 30 août, les ministres français et australiens des Affaires étrangères et de la Défense publiaient un communiqué commun, après s’être entretenus par visio, pour « souligner l’importance du programme des futurs sous-marins » et insistaient sur « le très haut degré de coopération stratégique » entre les deux pays. Seize jours avant l’annulation…

 

 Les Français n’ont-ils rien vu ou rien voulu voir ? Un ancien haut responsable militaire parle d’un « échec du renseignement ». Il n’était pourtant même pas besoin que la DGSE écoute les conversations des ministres alliés – ce qui, en principe, ne se fait pas ; il suffisait de lire la presse. « Australia Reconsiders Deal for French Submarines » (« l’Australie réexamine le contrat des sous-marins français »), pouvait-on lire dès le 28 février dernier dans le magazine spécialisé The Maritime Executive. Plus récemment, le 2 juin, le Sydney Morning Herald titrait « Defence is looking at alternatives to french submarines » (« le ministère de la Défense étudie des alternatives aux sous-marins français »)… Les tensions étaient là, au point qu’en février 2021, le PDG de Naval Group, Pierre-Eric Pommelet s’était rendu en Australie, acceptant de passer deux semaines confiné dans sa chambre d’hôtel, avant de pouvoir s’entretenir avec les responsables australiens. Au retour, il assurait que tout allait bien.

Cette affaire est une belle illustration de la capacité des Français à prendre leurs désirs pour des réalités. Elle devrait être l’occasion, à la veille d’une élection présidentielle, de s’interroger sur l’adéquation entre les moyens et les ambitions de la France. L’une des rares voix françaises à le dire est l’eurodéputé (LR) Arnaud Danjean : « Au-delà de la légitime colère, la grande leçon c’est que l’Indopacifique, c’est la cour des très grands. Paris déclame avec emphase une grande stratégie pour cette région, mais l’écart est tel entre ambition et moyens que le retour au réel est brutal. »

Il y a deux manières de répondre à une telle situation : réduire nos ambitions stratégiques à la hauteur de nos moyens limités, ou augmenter fortement ces moyens pour les mettre à la hauteur de nos ambitions. On parle en dizaines de milliards, alors que notre tradition diplomatique et notre système politique nous portent à ne jamais renoncer à quelque ambition que ce soit. Ou, en tout cas, à l’avouer.

Le plus probable est donc que, dès l’émotion retombée, l’on continue comme avant. D’autant que, très liés aux Américains, les militaires français pèseront de tout leur poids, face aux quelques diplomates qui entendraient prendre une ligne trop divergente de celle de Washington. Dans le JDD, le général Christophe Gomart, ancien directeur du renseignement militaire, le dit sans ambages : « L’Amérique reste notre alliée. »

 Il n’empêche que la formule du Maréchal de Saxe s’applique à merveille à la politique étrangère française : « Des gens à qui la tête tourne, qui ne voient plus rien, qui ne savent faire que ce qu’ils ont fait toute leur vie. » A peine l’annonce australienne connue, un communiqué du Quai d’Orsay et des Armées affirmait ainsi que « la France confirme sa volonté d’une action très ambitieuse dans cette région » indopacifique, tout autant que « la nécessité de porter haut et fort la question de l’autonomie stratégique européenne ».

Sur ce dernier point, la France apparaît isolée. Les Européens peinent à comprendre en quoi ils seraient concernés par l’annulation d’un contrat franco-australien, naguère obtenu au nez et à la barbe d’un concurrent allemand… « C’est surprenant de parler d’autonomie européenne pour un contrat national », explique un diplomate italien à notre correspondant à Rome. Certes, l’unilatéralisme de l’administration Biden les trouble, comme on l’a vu avec le retrait d’Afghanistan. Mais cela ne les conduit pas pour autant à se ranger derrière la France.

« Les Américains veulent des partenaires dociles », entend-on à Paris alors que l’éditorialiste Fareed Zakaria s’interroge dans le Washington Post :« Biden normalise-t-il la politique étrangère de Trump ? » Blessée par l’outrage, la France s’est cabrée. Mais sur qui s’appuiera-t-elle, en Europe ou ailleurs, pour résister à la réaffirmation brutale du leadership américain ?

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