France : la faiblesse de la politique anticorruption
La crédibilité de l’Hexagone dans sa volonté de lutter efficacement contre la délinquance économique et financière à l’international est atteinte, estime, dans une tribune au « Monde » (extrit), Laurent Cohen-Tanugi, avocat spécialisé dans les dossiers internationaux.
Tribune
La France a longtemps été aux abonnés absents dans la lutte contre la corruption dans la vie économique internationale, les pots-de-vin y étant même fiscalement déductibles jusqu’à il y a une vingtaine d’années. Sous la pression de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des poursuites américaines contre plusieurs fleurons industriels français, la loi dite Sapin 2 du 9 décembre 2016 a changé la donne, en imposant aux entreprises d’une certaine taille la mise en place d’un dispositif de conformité exigeant, en créant une Agence française anticorruption (AFA) investie de missions de contrôle et en ouvrant aux personnes morales et aux parquets la possibilité d’une résolution transactionnelle des affaires de corruption sous la forme d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), méthode ayant fait la preuve de son efficacité aux Etats-Unis.
L’entrée en vigueur de la loi en juin 2017 a donné un réel élan à la lutte anticorruption dans la vie des affaires, tant au sein des entreprises, avec la montée en puissance des dispositifs de compliance [le respect des normes], que du côté des pouvoirs publics, avec l’entrée en scène de l’AFA au niveau national et celle du Parquet national financier (PNF) parmi les principaux acteurs de la lutte anticorruption à l’échelle internationale. Cinq ans après, tandis que l’OCDE se penche à nouveau sur les performances françaises en la matière, le bilan est cependant mitigé. Comme l’indique la récente mission parlementaire d’évaluation de la loi Sapin 2, les résultats stagnent et la France est à la recherche d’un nouveau souffle dans sa politique de lutte contre la corruption.
Le diagnostic est particulièrement sévère dans la sphère publique, également couverte par la loi Sapin 2 avec des moyens insuffisants, et il n’épargne pas la lutte anticorruption dans la vie des affaires internationales. La raison en incombe pour partie au dispositif institutionnel mis en place par la loi Sapin 2.
A la différence des modèles américain et britannique du FCPA [loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger] et de l’UK Bribery Act [loi britannique de 2010 relative à la répression et la prévention de la corruption], le schéma français repose en effet tout d’abord sur l’obligation faite aux entreprises d’une certaine taille de mettre en place un dispositif opérationnel de prévention et de détection de la corruption en leur sein. Compte tenu du retard accusé par les acteurs économiques français en la matière, ce choix était probablement indispensable. De même, l’AFA, agence étatique dépendant des ministères de l’économie et de la justice, se voyait investie, avec des moyens trop modestes, d’une double mission de conseil et de contrôle – deux fonctions difficiles à concilier –, aux côtés du PNF et d’autres parquets, chargés des poursuites.
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