Covid-19 : clarifier le principe de liberté
Jean-Claude Kaufmann,sociologue, directeur de recherche honoraire au CNRS dans une tribune au Monde examine le concept de liberté individuelle par rapport au Covid. .
Tribune.
Dans de nombreux pays, et particulièrement en France avec les nouvelles manifestations du samedi, des oppositionnels se regroupent autour d’un slogan clair et mobilisateur : la défense de la liberté, supposée menacée par la montée d’un autoritarisme étatique, voire, pour certains, d’une dictature sanitaire. « J’ai le droit de ne pas me faire vacciner, c’est ma liberté ! »
Face à cette importante minorité ancrée dans ses convictions, médecins, scientifiques, journalistes ou politiques, malgré la solidité quasi irréfutable des arguments en faveur du vaccin, non seulement ne parviennent pas à convaincre ceux qui ne veulent rien entendre, mais de plus sont eux-mêmes envahis par un malaise qui rend parfois leurs propos hésitants. Car il n’est jamais aisé de prendre position contre la liberté individuelle dans une société qui l’inscrit comme un principe fondateur.
Il me semble essentiel de dissiper ce malaise, en faisant le clair sur la question des libertés ; nous confondons en effet beaucoup trop le principe et la réalité.
Le principe de la liberté individuelle fonde non seulement la démocratie politique, mais aussi, beaucoup plus largement, le processus de démocratisation individuelle, qui ne cesse de s’élargir : nous décidons de plus en plus par nous-mêmes et pour nous-mêmes, dans les domaines les plus divers, inventant notre propre morale et notre vérité.
Ce nouveau type de société produit à la fois un élargissement des libertés concrètes dans certains domaines et un fractionnement des communautés d’opinion qui implique paradoxalement une inexorable montée des normes et interdits de toutes sortes pour assurer les conditions du vivre-ensemble.
Il faut le dire et le répéter : dans aucune société auparavant, des limitations administratives de la liberté individuelle n’ont été aussi nombreuses qu’aujourd’hui ; qu’il s’agisse des règles d’urbanisme pour construire une maison ou des conseils très appuyés pour bien se nourrir. Et, quand la norme ne s’impose pas, quand le conseil ne se fait pas trop insistant, j’avais repéré, dans plusieurs enquêtes, la quête angoissée de ce qui était « normal » et de ce qui ne l’était pas avant d’adopter son propre comportement.
Nous sommes tellement grisés par notre sentiment d’autonomie individuelle que nous refusons de voir qu’il se déploie à l’intérieur de cadres de plus en plus contraignants, spécialement pour tout ce qui touche à la santé ou en cas de crise (ce que nous sommes en train de vivre résumant les deux). Les mesures disciplinaires actuelles n’ont donc rien de surprenant ; elles s’intègrent dans un irrépressible mouvement historique.
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