Drogue Marseille : les raisons de la violence
Afin de comprendre les raisons de cette flambée de violence, franceinfo a interrogé Jean-Baptiste Perrier, directeur de l’Institut de sciences pénales et de criminologie à l’université Aix-Marseille. Le criminologue déplore l’inefficacité d’une politique centrée sur les sanctions et souligne l’importance de recruter des magistrats dans la ville.
franceinfo : Peut-on parler d’une recrudescence des crimes liés au trafic de drogue à Marseille ?
Jean-Baptiste Perrier : Oui, depuis la mi-juin, on observe clairement une augmentation rapide du nombre de morts liées aux règlements de comptes. La police judiciaire en a dénombré quinze depuis le début d’année. Ce nombre est déjà plus important que ceux enregistrés chaque année au cours de la dernière décennie.
Entre 2010 et 2020, nous observions une baisse progressive du nombre de ces décès. Pendant cette période, près d’une dizaine de personnes avaient été tuées dans ces circonstances, tandis que dans la décennie précédente, nous en comptions plutôt une vingtaine par an.
« Souvent, les crimes sont commis par cycle. Ainsi, les faits sont rapprochés dans le temps, bien qu’il ne soit pas évident d’établir un lien entre eux. »
Comment expliquer cette brusque augmentation des décès liés au trafic de drogue ?
Il est très difficile de l’expliquer. Plusieurs causes peuvent entrer en compte. D’abord, certains groupes rivaux peuvent s’affronter pour un territoire, d’autant que des opérations des forces de l’ordre ont été initiées ces derniers mois pour démanteler des points de deal. Ainsi, une guerre entre plusieurs groupes peut être à l’œuvre pour récupérer les territoires perdus pendant ces opérations.
Mais les faits divers ne sont qu’une loupe sur la réalité de la professionnalisation du trafic de drogue durant la décennie écoulée à Marseille et ailleurs. Lorsque les trafics sont plus importants, on observe que les personnes qui y participent sont de plus en plus armées.
« Les organisations illégales sont mieux structurées et brassent ainsi plus d’argent, ce qui permet au réseau de grandir. »
Autre signe caractéristique : il y a un rajeunissement des trafiquants et on peut noter que les plus jeunes sont plus enclins à commettre des faits violents. Sur les dix dernières années, il n’est plus rare de voir des mineurs impliqués dans les trafics de stupéfiants. On a des participants entre 15 et 20 ans, et ils ont des rôles de plus en plus importants. Un jeune majeur peut se retrouver à la tête d’un réseau.
Le maire de Marseille, Benoît Payan, propose la mise en place d’un « parquet spécial pour lutter contre le trafic de drogue ». Est-ce une bonne solution ?
A Marseille, il existe déjà un parquet dédié à la lutte contre les crimes : une juridiction interrégionale spécialisée (JIRS). Son but n’est pas de lutter spécifiquement contre le trafic de drogue, mais la moitié de son activité est tout de même liée au trafic de stupéfiants, en raison de la typologie des crimes commis dans la ville.
« Ce n’est pas tellement la création d’un lieu encore plus spécialisé qui permettrait de résoudre le problème, mais plutôt des moyens supplémentaires alloués à la justice. »
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a assuré mardi qu’il répondrait favorablement aux demandes de magistrats supplémentaires à Marseille. La ville en a besoin, mais on sait que ces recrutements prennent du temps. Un renforcement des recrutements avait déjà été annoncé par le ministère de la Justice, mais c’est trompeur, car ce sont surtout des contractuels qui ont été recrutés. Il y a parmi eux des assistants juridiques et des délégués du procureur qui peuvent accompagner les magistrats, mais qui ne peuvent pas prendre de décisions.
Gérald Darmanin avait aussi annoncé en février le renfort de 300 policiers dans le département. Est-ce la stratégie à adopter pour combattre ce type de criminalité ?
Près de 100 policiers seront recrutés à Marseille d’ici la fin de l’année. C’est bien, mais en réalité sur le terrain l’effet ne sera que très peu perceptible et ne suffira pas à enrayer la criminalité. Il y a aussi la question de la concentration de ces moyens.
« Les autorités dépensent plus d’argent pour lutter contre l’usage des stupéfiants que contre le trafic de stupéfiants. »
La France a le système le plus répressif d’Europe. Pourtant, cela ne freine pas la consommation de stupéfiants. On sait que la culpabilisation du consommateur n’a jamais fonctionné. Dans ce contexte, la dépénalisation du cannabis peut être la solution pour ne plus pénaliser les consommateurs et concentrer ses moyens sur la lutte contre les trafics. Mais cette solution est rejetée par le ministre de l’Intérieur.
Enfin, il faut aussi prendre des mesures préventives, sociales et économiques pour éviter que les jeunes rejoignent les organisations criminelles. Il faut se demander comment lutter contre la misère sociale qui existe dans certains quartiers populaires, où une pression sociale pour rejoindre le trafic de drogue peut exister.
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