Climat : d’agir dès maintenant
Le dernier rapport du GIEC est la plus importante contribution scientifique sur le climat. C’est elle qui sera prise en compte lors du prochain grand sommet réunissant les dirigeants du monde entier. Par Eddy Pérez, Université de Montréal (*)
Le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a présenté lundi 9 août le premier des trois rapports attendus d’ici 2022 dans le cadre de son sixième cycle d’évaluation du climat. Ces textes présentent la plus importante contribution sur l’état des connaissances actuelles sur la crise climatique, ses origines, ses causes, ses impacts, et les mesures de réponse à notre disposition.
Il s’agit d’un exercice rigoureux qui se tient à tous les cinq à six ans. Le rapport publié lundi a été approuvé par 234 auteurs et 195 gouvernements. C’est la plus importante contribution scientifique sur le climat et c’est elle qui sera prise en compte lors de la COP26 — ce grand sommet climatique qui aura lieu à Glasgow en novembre 2021. En 2022, le GIEC publiera deux autres rapports qui porteront sur les impacts des changements climatiques et sur les possibilités d’atténuation.
Essentiellement, ce rapport donne raison aux militants et activistes du climat, ainsi qu’à tous ces représentants des pays du Sud qui, en 2015, ont fortement insisté pour que les États membres de la Convention climatique de l’ONU s’engagent à garder la hausse des températures bien en deçà de deux degrés Celsius et, de préférence, à 1,5 degré Celsius, tel que stipulé dans l’Accord de Paris
Je suis directeur de la diplomatie climatique internationale du Réseau action climat Canada. Chargé de cours à l’Université de Montréal, j’enseigne la justice climatique et la coopération internationale. J’analyse et je suis les négociations climatiques internationales, surtout en ce qui concerne les obligations et responsabilités climatiques du Canada à l’échelle internationale, l’implantation des plans climatiques à l’échelle domestique et la finance climatique internationale.
Bien qu’une augmentation de la température de 1,5 °Celsius ait des conséquences bien pires que celles que l’on observe aujourd’hui, une telle hausse serait bien plus désastreuse à 2 °Celsius. Et le scénario deviendrait plus dangereux — et injuste pour les populations du Sud — si la température continuait d’augmenter au-delà des deux degrés Celsius. D’ailleurs, les vagues de chaleur extrêmes que le Canada et l’Amérique du Nord ont vécues cet été sont aujourd’hui 150 fois plus probables que depuis la fin du XIXe siècle.
Les conclusions de ce rapport permettent au GIEC d’être plus clair et plus incisif sur le lien direct entre l’activité humaine et le réchauffement climatique actuel. Le GIEC montre comment l’activité humaine a provoqué l’accélération du rythme du réchauffement au cours des quatre dernières décennies par rapport aux 80 années précédentes.
Image du Sommaire des décideurs (SPM.2) : Contributions évaluées au réchauffement observé en 2010-2019 par rapport à 1850-1900. a) : Réchauffement climatique observé (augmentation de la température de la surface de la planète) et sa plage très probable {3.3.1, encadré 2.3}. b) : Preuves issues des études d’attribution, qui synthétisent les informations provenant des modèles climatiques et des observations. Le panneau montre les changements de température attribués à l’influence humaine, aux changements dans les concentrations de gaz à effet de serre, aux aérosols, à l’ozone et au changement d’affectation des terres, aux facteurs solaires et volcaniques, et à la variabilité climatique interne. c) : Preuve de l’évaluation du forçage radiatif et de la sensibilité du climat. Le panneau montre les changements de température dus aux différentes composantes de l’influence humaine, notamment les émissions de gaz à effet de serre, les aérosols et leurs précurseurs, les changements d’affectation des terres et les traînées de condensation des avions. Les estimations tiennent compte à la fois des émissions directes dans l’atmosphère et de leur effet, le cas échéant, sur d’autres facteurs climatiques. Pour les aérosols, les effets directs (par rayonnement) et indirects (par interaction avec les nuages) sont pris en compte {6.4.2, 7.3}. IPCC (2021) Figure SPM.2
Nous pouvons constater nos empreintes digitales sur le système climatique. La science est en mesure de démontrer comment le réchauffement climatique actuel a rendu plus probables les incendies, inondations, tempêtes et vagues de chaleur que nous ressentons présentement. Nous vivons donc dans une planète avec un système climatique que nous avons altéré et qui est désormais moins stable.
L’Amérique du Nord, l’Europe, l’Australie, une grande partie de l’Amérique latine, l’Afrique australe occidentale et orientale, la Sibérie, la Russie et toute l’Asie connaissent déjà des températures extrêmes. L’accélération des changements dans les océans, les glaciers et les niveaux de la mer sont parmi les symptômes les plus visibles et les plus dramatiques de la crise climatique. Cette accélération se poursuivra même si le réchauffement causé par nos activités s’arrête.
Chaque augmentation de température, si petite soit-elle, aura des incidences sur la fréquence et l’intensité des phénomènes extrêmes. Ces derniers sont amplifiés avec chaque augmentation supplémentaire du réchauffement planétaire.
Changements prévus dans l’intensité et la fréquence des températures extrêmes sur terre, des précipitations extrêmes sur terre, et des sécheresses agricoles et écologiques dans les régions sèches. IPCC (2021)
S’il est vrai que certains changements dans le climat sont irréversibles, nous avons toujours le choix de mettre de l’avant des solutions audacieuses et responsables afin de protéger les populations des impacts les plus dévastateurs de cette injuste crise.
C’est d’ailleurs le message principal du Secrétaire général des Nations unies à la suite de la publication du rapport : « La viabilité de nos sociétés dépend des dirigeants des gouvernements, des entreprises et de la société civile qui exigeront des politiques, des actions et des investissements qui limiteront la hausse des températures à 1,5 °Celsius. »
Les différents scénarios
En 2015, les pays membres de la convention climat de l’ONU se sont donnés comme objectif de limiter l’augmentation de la température d’ici la fin du siècle à 2 °Celsius. Ils se sont aussi engagés à faire tout ce qui est possible pour que cette limitation ne dépasse pas la barre du 1,5 °Celsius.
Dans son rapport, le GIEC présente cinq scénarios différents pour illustrer comment les émissions peuvent augmenter pendant le reste du siècle. Dans tous ces scénarios, nous pourrions atteindre 1,5 °Celsius d’ici vingt ans. Cependant, dans les scénarios où les émissions seraient plus élevées, nous dépasserons plus rapidement l’objectif du 1,5 °Celsius au cours du siècle.
Changements prévus dans l’intensité et la fréquence des températures extrêmes sur terre, des précipitations extrêmes sur terre, et des sécheresses agricoles et écologiques dans les régions sèches. IPCC (2021)
En revanche, pour le scénario d’émissions le plus faible, le GIEC suggère que les températures augmenteront d’un peu plus de 1,5 °Celsius, avant de redescendre à la fin du siècle, à mesure que le carbone sera éliminé de l’atmosphère — ce qui est compatible avec l’objectif ultime de l’Accord de Paris.
Atteindre la carboneutralité
Le GIEC a donc confirmé l’importance de réduire rapidement les émissions de CO2, ainsi que celles des autres gaz à effet de serre pendant cette décennie et de paver la voie pour atteindre la carboneutralité vers 2050. Rien ne peut remplacer la réduction des émissions de gaz à effet de serre à la source.
S’il est vrai que les puits de carbone naturels — des réservoirs qui captent et stockent le carbone atmosphérique, comme les puits océaniques, la biosphère, les forêts et les tourbières — sont importants pour nous aider à atteindre le reste du chemin vers la carboneutralité, la quantité de carbone pouvant être absorbé par les écosystèmes et les océans est très limitée. Le GIEC émet même des réserves sur l’utilisation des technologies d’élimination de carbone artificielles qui peuvent avoir des incidences négatives importantes sur la qualité et la quantité de l’eau, la production alimentaire et la biodiversité.
Émissions anthropiques cumulées de CO₂ absorbées par les puits terrestres et océaniques d’ici 2100 selon les cinq scénarios illustratifs. IPCC (2021)
Limiter la hausse de température à 1,5 °Celsius ne sera pas facile. Mais, plus nous dépassons ce seuil, plus nous sommes exposés à de futurs risques imprévisibles et graves avec des points de bascule qui peuvent se produire à l’échelle mondiale et régionale. Le Secrétaire général de l’ONU a déclaré qu’aucune nouvelle centrale au charbon ne doit être construite après 2021. Il va sans dire que devons éliminer progressivement le charbon existant d’ici 2030, et tous les autres pays doivent suivre d’ici 2040 et mettre fin à toute nouvelle prospection et production de combustibles fossiles.
Le rôle du Canada
Le Canada doit réviser son plan climatique afin de s’assurer qu’il soit compatible avec cet objectif de réduction. Le pays n’atteindra pas ses objectifs climatiques sans un engagement clair visant à mettre fin à toute expansion du secteur pétrolier et gazier.
En 2018, le GIEC a d’ailleurs estimé que pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °Celsius, la production pétrolière mondiale devait diminuer d’ici 2030 de 37 % sous les niveaux de 2010 et de 87 % d’ici 2050.
Malgré ces conclusions claires, le Canada prévoit toujours une production de pétrole et de gaz bien plus importante en 2050 qu’en 2019. À lui seul, le secteur pétrolier pourrait émettre jusqu’à 200 Mt de CO2 le jour où il est censé atteindre la carboneutralité.
Le Canada est responsable de 2 % des émissions mondiales en moyenne, mais selon ses projections actuelles, son expansion pétrolière et gazière devrait épuiser jusqu’à 16 % du budget carbone mondial. Tout scénario qui mène donc à l’expansion des énergies fossiles pourrait tout simplement détruire notre planète telle qu’on la connait.
Les données présentées dans ce premier rapport du GIEC sont bouleversantes. Désormais, chaque tonne d’émissions, chaque fraction de degré aura un impact direct sur notre santé et notre sécurité.
Cependant, tant et aussi longtemps qu’il le sera possible, nous devons faire tout ce qui est nécessaire pour nous protéger et protéger les gens qu’on aime des pires impacts des changements climatiques.
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(*) Par Eddy Pérez, Lecturer, certificat en coopération internationale, Université de Montréal
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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