- Vaccination, un passe de liberté
Marc Grassin philosophe et docteur en éthique médicale considère que la vaccination est un gage de liberté. (Dans l’Opinion, extrait.)
De nouveaux renforts de soignants vont être envoyés ce vendredi en Guadeloupe et en Martinique. Depuis le début de la quatrième vague épidémique, au moins 36 malades de la Covid hospitalisés en soins critiques ont été transférés vers une autre région, dont 19 depuis les Antilles vers l’Ile-de-France. L’obligation vaccinale, annoncée le 12 juillet par Emmanuel Macron pour contrer la reprise épidémique, concerne les personnels soignants et non soignants des établissements de santé et maisons de retraite, les professionnels et bénévoles auprès des personnes âgées, y compris à domicile, les pompiers et les ambulanciers.
Marc Grassin est philosophe et docteur en éthique médicale. Il enseigne à l’Institut catholique de Paris et dirige l’Institut Vaugirard-Humanités et management.
Les soignants ont l’obligation de se faire vacciner, ce qui n’est pas le cas de l’ensemble de la population. Il n’y a pas d’égalité entre ces deux groupes de population. D’un point de vue éthique, est-ce acceptable ?
La question primordiale n’est pas celle de l’égalité mais celle du sens de la responsabilité commune. L’homme vit dans un espace partagé, régi par des contraintes et des normes sociales. Nous sommes dans une situation de crise complexe, extrêmement mouvante, qui réclame une analyse globale des enjeux sociaux, relationnels, économiques et de santé publique. Cela commande également de réfléchir à la lumière des faits, qui sont les suivants : aujourd’hui, les services de réanimation se remplissent peu à peu de personnes non-vaccinées. Il y a dix-huit mois, lors de la première vague, les lits étaient également occupés, cette fois-ci par des personnes âgées. Dans les deux cas, les réanimations sont en tension voire saturées. Cela étant dit, quel autre choix que tendre à une couverture vaccinale maximale avons-nous pour faire face ? Des restrictions de type confinement, les gestes barrières. Ce n’est pas satisfaisant, au regard des enjeux nommés auparavant.
Mais que répondre aux soignants qui refusent de se faire vacciner au principe que cette décision ne s’applique pas à tous ?
Je vais vous répondre en paraphrasant Paul Ricœur : la responsabilité éthique est de rendre compte parce qu’un autre compte sur moi. Quelque part, les Français qui vont être contaminés par l’épidémie comptent sur les autres pour ne pas l’être. Volontairement, je vais forcer le trait : être égalitaire ne veut pas forcément dire être juste. On peut être égalitaire dans des pratiques déshumanisantes, dans une politique de l’horreur. C’est pour cela que la notion de responsabilité prime sur celle d’égalité pour la vaccination. Pour revenir à l’obligation vaccinale aux soignants, elle s’impose pour la majorité d’entre eux comme une évidence. N’oublions pas qu’ils ont déjà l’obligation d’être vaccinés contre d’autres maladies pour exercer leur métier. Protéger les patients et les plus fragiles est un enjeu de santé publique majeur auquel ces professionnels sont sensibles, plus qu’on ne le dit.
«Ma liberté ne peut s’exprimer que dans un corps social contraignant. C’est parce que la liberté individuelle est mise en tension qu’elle existe, qu’elle s’affirme par la négociation»
L’obligation vaccinale et, plus largement, le pass sanitaire, enterrent-ils la notion de liberté individuelle, comme le clament leurs opposants ?
Il n’y a pas de liberté individuelle qui ne rencontre de contraintes. La vie en société réclame de négocier les contraintes et les normes éthico-morales de cette dernière au quotidien, jour après jour. Je négocie ma liberté dans le système scolaire, auprès de mon employeur, etc. En réalité, ma liberté ne peut s’exprimer que dans un corps social contraignant. C’est parce que la liberté individuelle est mise en tension qu’elle existe, qu’elle s’affirme par la négociation. Dit autrement : être libre, ce n’est pas ne pas être contraint.
A-t-on vraiment besoin de contraintes supplémentaires pour affirmer notre liberté ?
A moins de faire le choix de vivre en dehors de la société, des normes, des lois et des obligations sociales s’imposent à nous tous les jours. Les respecter, c’est être libre. Je vais utiliser une image caricaturale, à ne pas prendre au pied de la lettre : nous sommes libres de marcher les uns à côté des autres sans craindre de nous faire agresser par notre voisin car la loi lui impose une modération de son aptitude à la violence, un respect de notre personne. La loi sert à rendre possible la liberté de l’autre. La même logique de pensée s’applique à la vaccination. C’est une contrainte qui nous rend libre de marcher dans les rues, libre de ne pas mourir. Ou, pour être juste, de « moins » mourir. Ni nous, ni les gens qui nous entourent.
Le principe de « tri » des patients fait débat. Comment un médecin qui récite le serment d’Hippocrate au moment de sa thèse peut-il faire un « choix » entre deux patients ? Est-ce déontologiquement justifiable ?
C’est un élément très fort de l’éthique médicale. Je voudrais revenir sur cette notion de tri, qui n’est pas la même en temps pandémique et en temps « normal ». On ne le dit pas assez : le triage des patients en médecine existe tous les jours. Face à un patient dans un état extrêmement grave en réanimation, un médecin va prendre sa décision en considérant le diagnostic, le pronostic, le traitement approprié. Il prendra, parmi plusieurs options, la meilleure décision médicale au regard de l’état clinique de son patient. Parfois, réanimer vaudra mieux que ne pas réanimer. La décision relèvera toujours d’un choix et, ce faisant, d’un tri. En temps de Covid, la notion de triage n’est pas la même, et les questions éthiques qu’elle soulève sont de nature différente. On trie car on a 15 patients pour 10 lits. On trie parce que les ressources sont limitées. L’éthique et la logique médico-sociale sont de soigner tout le monde mais la contrainte existe, on ne peut la nier. A l’hôpital, en réanimation, le seul moyen de desserrer l’étau de la contrainte est la vaccination.
«Ethiquement, il n’est pas possible de privilégier un patient souffrant de la Covid plutôt qu’un patient souffrant d’un cancer. Mais l’inverse est également vrai»
Accepter un patient Covid, c’est aussi, éventuellement, accepter de ne pas soigner tout de suite un autre patient dont les soins seront déprogrammés. Il y a un risque de perte de chance pour ce dernier. Est-ce un critère suffisamment pris en considération ? Autrement dit : la fin justifie-t-elle les moyens ?
La crise met en lumière le manque de ressources attribuées aux soignants et aux établissements de santé. Ethiquement, il n’est pas possible de privilégier un patient souffrant du Covid plutôt qu’un patient souffrant d’un cancer. Mais l’inverse est également vrai. Cette question ne devrait pas avoir à se poser. C’est pour cela que j’insiste : au nom de l’intérêt de l’autre, des patients qui subiront les effets délétères de la Covid, nous nous devons de négocier notre propre résistance au vaccin. Nous sommes comptables de l’autre.
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