Comment combler le vide face à Macron ?

Comment combler le vide face à Macron ?

« Les oppositions devront proposer un projet qui ne tienne pas uniquement compte de la crise mais pense également le monde d’après », assure le sondeur Jean-Daniel Lévy.( L’opinion , extrait)

 

 

Quel est le jugement que portent aujourd’hui les Français sur la gestion de la crise sanitaire par Emmanuel Macron ?

C’est un jugement critique mais qui coexiste avec une forme d’appréciation qui peut se résumer à : « faute de mieux ». Deux sentiments se mêlent chez les Français : celui qu’il y a eu un retard à l’allumage à trois moments-clés de la crise (les masques, les tests, la vaccination) et celui qu’il n’y avait sans doute pas moyen de faire mieux. Les Français n’ont pas l’impression qu’une autre approche faite par LR, le RN, le PS ou encore La France insoumise aurait été plus efficace. D’ailleurs, ils n’en ont pas entendu. En ce qui concerne le pass sanitaire, avant la question de son efficacité pour lutter contre le virus, il ne faut pas oublier qu’un autre débat prédominait : celui du risque d’une fracture au sein de la société française entre non-vaccinés et vaccinés à qui on allait faire subir les mêmes restrictions qu’aux premiers. Le pass sanitaire a ainsi été perçu comme un instrument faisant la différence entre ceux ayant fait l’effort de se faire vacciner et ceux ne l’ayant pas fait. C’est pourquoi il a été bien accepté par les Français et qu’il le reste, et que les manifestations du samedi contre lui sont impopulaires. Le niveau de soutien aux anti-pass est comparable à la queue de comète des Gilets jaunes plutôt qu’au début.

Depuis un an et demi, cela a-t-il beaucoup évolué ?

Ce qui a beaucoup évolué, ce n’est pas tant le jugement des Français à l’égard des politiques qu’à l’égard des scientifiques. Au début de la pandémie, les Français souhaitaient que les premiers collent aux recommandations des seconds. Aujourd’hui, on note une demande d’indépendance du politique par rapport au scientifique. « Les scientifiques », en tant que tels, n’existent plus. Il n’y a plus le sentiment que la science exprime forcément la vérité. Les divisions de la communauté scientifique sont apparues au grand jour. Emmanuel Macron a su surfer sur ce phénomène. Il n’est plus «le premier épidémiologiste de France», selon la formule de Jean-Michel Blanquer, mais le premier responsable politique en charge de la gestion de la pandémie. D’un point de vue d’opinion, il ne prend plus seulement en compte la question de la santé mais l’équilibre de la société française. Et il est jugé à travers ce prisme.

«La santé n’annihile pas tous les autres sujets de préoccupation des Français: l’environnement, les questions économiques et sociales, la sécurité, l’immigration… n’ont pas disparu» 

« La crise sanitaire durera encore plusieurs mois », déclarait la semaine passée le chef de l’Etat. Quel impact cela peut-il avoir sur la présidentielle ?

Ce qu’on a vu ces derniers mois en Israël ou aux Etats-Unis, par exemple, a plutôt été le signe qu’il n’y avait pas de lien intime entre le jugement sur la gestion de la crise sanitaire et le comportement électoral. Il n’y a pas eu uniquement un regard sur la gestion de la pandémie qui s’est exprimé. Dans nos enquêtes, on peut constater que la santé n’annihile pas tous les autres sujets de préoccupation des Français : l’environnement, les questions économiques et sociales, la sécurité, l’immigration… n’ont pas disparu. Ces thèmes demeurent à peu près au même niveau qu’avant, la gestion de la pandémie venant se superposer en surplomb. C’est le même phénomène que pour la question du chômage ces dernières décennies : cette préoccupation n’anéantissait pas les autres sujets.

Qu’est-ce que cela change pour Emmanuel Macron ?

Il s’était positionné en 2017 comme le Président de la prise de risque, il ne peut plus être sur cette ligne. Il doit être désormais le Président de la réassurance. Les Français sont en effet en attente de re-sécurisation sur ce qui fait l’ADN de la société française : les services publics et notamment les services publics de santé.

Et qu’est-ce que cela peut changer pour les oppositions ?

Cela les oblige à proposer un projet qui ne tienne pas uniquement compte de la crise mais pense également le monde d’après. Il y aura une attente d’anticipation, comme au lendemain de la crise financière de 2008. Celle-ci avait été un premier coup de semonce ; le deuxième a été la pandémie. En quelque sorte, il en existe un troisième avec la prise de conscience, bien au-delà du rapport du Giec, du dérèglement climatique. Dans le débat présidentiel, la question de la dette et des déficits publics sera aussi moins présente qu’en 2017. Cela va laisser plus d’espace à des mesures qui ne s’inscriront pas nécessairement dans l’orthodoxie budgétaire, notamment venues des rangs de la gauche ou de l’extrême droite. Cela va laisser plus de marge de manœuvre en matière de propositions.

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