La ville métropole : cité parfaite des utopies

La ville métropole : cité parfaite des utopies

Le paléoanthropologue Pascal Picq met en garde : la ville ne peut pas être la « cité parfaite des utopies »,

 

. (Interview La Tribune extrait)

L’habitat pour soi et l’habitat avec autrui forment un marqueur « général » de l’histoire de l’humanité, et « tout particulier » de l’anthropologue évolutionniste que vous êtes. Du hameau cévenol à la mégapole chinoise, ce que le collectif urbain est devenu aux quatre coins de la planète constitue une lecture civilisationnelle. Peut-on en extraire un fait saillant universel ? À quelles étapes clés dans la « Grande Histoire » l’évolution fait-elle référence ?

Pascal Picq L’Histoire, avec un grand H, est fille de la cité. C’est dans les villes que s’est faite et se fait l’Histoire. Et cela dès le ive millénaire avant J.-C., au Proche-Orient. Les historiens appellent cette période l’« âge axial », que signale l’apparition des grandes religions, des systèmes philosophiques fondateurs et des sociétés organisées en classes. Les cités vont émerger en à peine quelques siècles et, d’un coup, établissent des influences géopolitiques à l’échelle de vastes régions géographiques. C’est bref à l’échelle des temps de l’évolution, bien sûr, mais aussi des temps historiques. Cela ne peut se comprendre sans une profonde transformation économique, sociale, religieuse et politique. C’est aussi l’invention de l’organisation des espaces de la cité. Les villes garderont cette organisation jusqu’au xixe siècle, que marquent la révolution industrielle et le développement des faubourgs. Notons que depuis plus de 5 000 ans, les villes demeurent en quête d’une exigence urbaniste qui ne cesse de leur échapper.

Depuis 2007, l’humanité est entrée dans une nouvelle phase de son évolution : pour la première fois, la majorité de la population humaine est urbanisée. Les mégalopoles concentrent 90 % de l’activité et de la richesse économique mais sont aussi la cause de 70 % des émissions de CO2. En cette période de pandémie, il suffit de constater les changements imposés par les confinements sur ces activités pour s’en convaincre.

Deux tiers de l’humanité devraient être urbanisés d’ici la moitié du siècle actuel, ce qui n’est pas sans conséquences sur les problèmes inhérents aux villes : pollutions, sédentarité, insécurité, mobilité, santé, épidémie… Il y a encore peu, l’espérance de vie était plus élevée en ville, or désormais cette tendance s’inverse dans les mégalopoles. Et que dire de l’impact des maladies dites civilisationnelles ? Cette urbanisation laisse à penser que l’évolution s’arrête aux portes des cités. Rien n’est plus faux. Les villes deviennent des écosystèmes non sans avoir des effets écosystémiques à l’échelle de la planète. Tel est le nouveau terrain de jeu de notre évolution, notamment pour les virus, les bactéries et autres agents pathogènes.

On « est » à partir des lieux où l’on naît, étudie, travaille, habite, se déplace, se cultive, fonde une famille, reçoit des amis. Plus la ville est grande, étendue, densifiée, plus le risque de ghettoïsation, de ségrégation est, potentiellement, élevé. La ville est souvent le reflet, voire l’amplificateur des morcellements sociologiques et des inégalités. Y cohabitent des extrêmes de plus en plus irréconciliables. Est-ce rédhibitoire ?

P.P. Impossible de nos jours d’imaginer l’incroyable mixité sociale qui régnait il y a encore peu entre les maraîchers, les forts des Halles, les ouvriers et les travailleurs du Paris qui s’éveille chanté par Jacques Dutronc, les étudiants, les bourgeois… Paname. Où sont passés les gars de Ménilmontant ? Qui parle de la Rive gauche et de la Rive droite ? Qu’est devenu le Quartier latin ?

La ville traduit les changements de société et là où nous habitons notre place dans la société. L’urbanisation a plus souvent été une réponse à des urgences sociales tandis que, à l’opposé, persiste une tradition utopique de la ville censée apporter du bonheur aux gens.

De Thomas Moore à Le Corbusier en passant par Ledoux, les phalanstères, les corons ou autres, difficile de saluer des réussites anthropologiques. La ville n’est jamais à sa place, courant après les transformations nécessaires pour accompagner les changements de sociétés ou, si elle prétend organiser une cité radieuse et socialement harmonieuse, sombre dans la dystopie. La ville est condamnée à s’adapter constamment ou à disparaître. La ville sur la Terre ne sera jamais la cité parfaite des utopies, si ce n’est dans les imaginaires sinistres des transhumanistes. Et elle souffre d’une double distanciation sociologique, spatiale et temporelle. Dans le RER à 6 h du matin, on ne rencontre pas les mêmes populations qu’à 9 h ou dans l’après-midi. C’est un voyage ethnographique souterrain. Aujourd’hui, les distanciations sociales réalisent ce que les utopies n’ont jamais réussi à imposer.

L’organisation architecturale et urbanistique est indissociable de cette compartimentation…

P.P. Absolument. Le pouvoir craint le peuple des villes, à l’instar de Louis XIV s’installant à Versailles. La transformation haussmannienne répondit à une nécessité urbaniste tout en redessinant socialement les quartiers. Il en fut de même avec les banlieues dans les années 1960 et, de nos jours, les gated cities - les villes avec portails – ne rassemblent que des personnes de même catégorie sociale. Tout est pensé pour éviter les mauvaises surprises :

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