Société: Vers la semaine de travail de quatre jours ?
Un article du wall Street journal évoque l’hypothèse d’une semaine de travail à quatre jours aux Etats-Unis. (Extrait)
Aziz Hasan a dû passer au télétravail quand la pandémie de coronavirus a frappé. Aujourd’hui, le directeur général de Kickstarter veut offrir un nouvel avantage à ceux qui sont restés fidèles au poste : la semaine de quatre jours.
Dès l’an prochain, la plateforme de financement participatif, installée à Brooklyn, proposera à ses collaborateurs, dans le cadre d’un projet pilote, de travailler huit heures de moins chaque semaine sans gagner moins. Le pari d’Aziz Hasan : en étant moins souvent au bureau, les quelque 90 salariés pourront mieux équilibrer vie professionnelle et vie privée, tout en ayant plus de temps pour leurs projets personnels. Il espère que ses équipes seront tout aussi productives, si ce n’est plus.
« On ne peut pas savoir ce qui va se passer tant qu’on n’essaie pas, explique-t-il. Mais les gens ont envie de voir à quoi ça peut ressembler et si ça peut fonctionner. »
Structure et organisation du travail, parfois même schéma traditionnel « 40 heures sur cinq jours » : la Covid-19 a balayé bon nombre de certitudes dans les entreprises. En 2020, le télétravail a été une libération pour certains. Mais pour d’autres, il a été synonyme de charge de travail supplémentaire et de burn-out. En 2021, pour leur retour en présentiel, les salariés veulent mieux équilibrer vie professionnelle et vie privée.
« L’expérience de la pandémie et du télétravail nous pousse à nous interroger sur la nécessité d’être physiquement présent au bureau, explique Ben Hunnicutt, professeur à l’université de l’Iowa et auteur de Work Without End (Le travail sans fin, non traduit), une étude consacrée aux tentatives de réduction du temps de travail. On peut faire son travail et rentrer chez soi. »
Dans un marché du travail où les salariés n’hésitent plus à démissionner et où les employeurs doivent se battre pour recruter les meilleurs, l’allègement de la semaine est d’ores et déjà un argument de recrutement pour certaines entreprises, dont Metro Plastics Technologies. Son directeur général, Lindsey Hahn, raconte qu’il a décidé dans les années 1990 d’instaurer des rotations de six heures, sans pause, dans son usine de Noblesville, dans l’Indiana, et que cela lui a permis d’éviter la pénurie de main-d’œuvre.
En 2019, après cinq semaines d’essai, Microsoft a mis fin à la semaine de quatre jours au Japon
Mais un mouvement généralisé n’est pas pour demain : si de nombreuses petites entreprises américaines ont expérimenté la réduction du temps de travail depuis le début de la pandémie, les grandes entreprises ne se sont pas encore prêtées à l’exercice. En 2019, après cinq semaines d’essai, Microsoft a mis fin à la semaine de quatre jours au Japon. La porte-parole du groupe n’a pas souhaité commenter les résultats de l’expérience.
Pour Jackie Reinberg, responsable de l’activité de conseil en gestion des absences et des congés de Willis Towers Watson, il pourrait aussi être difficile de convaincre les salariés qui peinent à boucler leurs fins de mois (ou de semaine, en l’occurrence). « Un certain nombre d’Américains n’ont pas les moyens de passer à la semaine de quatre jours, donc à la paie de quatre jours. »
Aux Etats-Unis, les tentatives de réduction du temps de travail hebdomadaire ont jusqu’à présent échoué. Pendant la Grande dépression, des entreprises ont essayé de réduire le temps de travail pour partager le peu d’activité qu’il restait et, en 1933, le Sénat a voté une loi limitant le temps de travail à 30 heures par semaine. Mais, sans le soutien du président Franklin Roosevelt, la proposition n’a jamais été adoptée par la Chambre des représentants. Cinq ans plus, au moment du New Deal, la semaine de 40 heures est devenue la norme.
L’idée d’une journée ou d’une semaine moins longue a refait surface de temps en temps (à l’époque où il était vice-président, Richard Nixon avait prédit l’adoption de la semaine de quatre jours), sans jamais faire totalement consensus. Kellogg, célèbre pour avoir instauré des journées de six heures dans une usine de transformation des céréales en 1930, a mis fin au dispositif dans la plupart des services après la Seconde Guerre mondiale, a indiqué l’entreprise. Et au milieu des années 1980, tout le monde y travaillait à nouveau huit heures par jour.
L’idée d’une réduction du temps de travail a longtemps plu davantage à l’étranger que sur le sol américain, notamment dans les pays dont la culture ne valorise pas forcément le stress et les journées interminables. A l’inverse, dans certains secteurs très rémunérateurs de la première économie mondiale, notamment la finance et le droit, il est toujours normal (et très utile si l’on veut progresser dans la hiérarchie) de travailler tard le soir et le week-end.
La réduction du temps de travail « ne serait pas adaptée à la culture des grandes entreprises américaines, où tout le monde doit être disponible tout le temps, dans des secteurs où les décisions doivent être prises rapidement »
La réduction du temps de travail « ne serait pas adaptée à la culture des grandes entreprises américaines, où tout le monde doit être disponible tout le temps, dans des secteurs où les décisions doivent être prises rapidement », estime David Yoffie, professeur à la Harvard Business School qui a été administrateur de plusieurs entreprises, dont Intel. Pour lui, le dispositif est envisageable pour des prestataires de services de taille plus modeste, mais pas pour de grands groupes présents dans des secteurs très concurrentiels.
« Est-ce que ça pourrait fonctionner dans les entreprises dont j’ai été administrateur ? A mon avis, non, ajoute-t-il. Et ça me semble tout bonnement impossible pour les dirigeants. »
Elizabeth Knox, fondatrice de MatchPace, une société de conseil de Washington spécialisée dans l’efficacité au travail qui aide ses clients à optimiser l’organisation du temps de travail, pense aussi que la semaine de quatre jours ne peut pas fonctionner dans toutes les entreprises.
« Ça sonne bien, mais ce n’est pas une stratégie qui peut, à elle seule, résoudre les problèmes des entreprises qui ont du mal à s’organiser, explique-t-elle. Les choses sont plus complexes et plus nuancées que la simple suppression d’un jour de travail. »
Alter Agents, une société de conseil et d’études de marché, en a fait l’expérience : elle a essayé la semaine de quatre jours pour offrir plus de flexibilité à ses collaborateurs et les aider à faire face au stress provoqué par la pandémie. Rebecca Brooks, sa directrice générale, a demandé aux salariés de choisir des jours de repos différents pour qu’il y ait toujours des consultants disponibles pour les clients.
L’expérience a été interrompue au bout de dix semaines, quand les problèmes ont commencé à se multiplier. Le jour de repos supplémentaire obligeait les salariés à expliquer à leurs collègues ce qui s’était passé en leur absence et compliquait l’organisation des réunions. Les collaborateurs qui avaient proposé de venir à des réunions sur leur jour de congé ne se sentaient pas bien ; d’autres en voulaient à leurs collègues qui ne consultaient pas leur boîte mail quand ils étaient en repos.
« Certains salariés ont été plus stressés par le fait de ne pas venir à une réunion ou de prendre une journée de repos, raconte Rebecca Brooks. La situation a fini par créer des tensions entre les collaborateurs et porter préjudice à la culture de notre entreprise. »
Alter Agents a fini par proposer une autre solution : un jour de congé supplémentaire par mois, ce qui fait baisser le niveau de stress des salariés en poste et aide l’entreprise à recruter des candidats en quête d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, assure Rebecca Brooks.
« On a réussi à conserver l’intention de départ, c’est-à-dire donner plus de temps libre et plus de liberté à nos salariés », conclut-elle.
Il faut que les salariés apprennent à être plus concentrés, explique Justine Jordan, responsable du marketing de Wildbit, un éditeur de logiciels basé à Philadelphie qui, dès 2017, a adopté la semaine de 32 heures
Pour que le raccourcissement de la semaine de travail fonctionne, il faut que les salariés apprennent à être plus concentrés, explique Justine Jordan, responsable du marketing de Wildbit, un éditeur de logiciels basé à Philadelphie qui, dès 2017, a adopté la semaine de 32 heures. Pour ce faire, ajoute-t-elle, il faut réduire le nombre de réunions et éviter les distractions. La majorité des 30 collaborateurs prennent leur vendredi, d’autres s’offrent leur lundi. Quelques-uns, surtout ceux qui ont des enfants, ont opté pour cinq journées plus courtes, détaille-t-elle.
Pour Jackie Reinberg, supprimer une journée de travail est toujours un défi logistique : il faut faire évoluer la façon dont l’entreprise interagit avec ses clients et dont elle évalue la productivité, sans parler de la façon dont elle gère les plannings si tout le monde n’est pas absent le même jour.
Aziz Hasan, lui, explique que Kickstarter ne lancera son expérience que l’an prochain, parce que la société a besoin de temps pour traiter ces questions, mais aussi pour voir comment organiser des réunions quand les semaines sont plus courtes ou si les équipes ne travaillent pas toutes le même jour.
« Pour le moment, on n’a pas de solution parfaite, déclare-t-il. Mais on aurait pu dire la même chose du télétravail : ce n’était pas une pratique communément acceptée jusqu’à la pandémie, alors qu’aujourd’hui, beaucoup de gens voient que ça peut être pertinent. »
Uncharted, une organisation à but non lucratif de Denver qui aide les jeunes entreprises, expérimente depuis l’été dernier la fermeture le vendredi. Son directeur général, Banks Benitez, a remarqué que les salariés osent moins demander de l’aide à leurs collègues parce qu’ils ne veulent pas les déranger pendant une semaine raccourcie, mais l’entreprise conserve son organisation.
Adrienne Russman, responsable des relations avec les pouvoirs publics et les communautés locales d’Uncharted, était plutôt sceptique. Mais savoir qu’elle aurait une journée de plus pour faire les lessives et préparer les repas l’a aidée à être plus concentrée au bureau.
« L’année passée a été si difficile sur le plan émotionnel que, parfois, je passais mes journées à me dire que j’étais épuisée, raconte cette habitante de Denver. Donc c’était une bonne chose de me dire que tous les week-ends seraient des week-ends de trois jours. »
L’efficacité des semaines allégées ne fait pas non plus consensus à l’étranger. Selon Jennifer Hunt, économiste à l’université Rutgers, les efforts de réduction du temps de travail entrepris en Allemagne du milieu des années 1980 à 1994 ont potentiellement pénalisé l’emploi. Une étude menée en 2009 par Matthieu Chemin, économiste à l’université McGill, a de son côté révélé que l’adoption des 35 heures en France en 2000 n’avait pas créé beaucoup d’emplois.
D’autres pays sont encore en phase d’expérimentation. En mars dernier, l’Espagne a annoncé qu’elle allait payer des entreprises pour qu’elles testent la semaine de quatre jours. Et, depuis novembre de l’an passé, le géant londonien des produits de grande consommation Unilever met le concept à l’épreuve dans ses bureaux néo-zélandais. Fin juillet, il a déclaré qu’il se donnait jusqu’à décembre (fin de la phase de test) pour savoir s’il élargissait l’expérience.
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