Retour des industries en Europe ?

Retour des industries  en Europe ?

 

Par Didier Julienne, Président de Commodities & Resources » qui envisage le retour des industries en Europe. Tribune dans l’Opinion ( extrait)

Le Politburo l’avait décidé fin avril, les exportations de 146 produits en acier fabriqués par Pékin n’étaient plus soutenues par des exemptions de TVA à l’export. La direction du parti communiste chinois récidive à partir du 1er août, ce sont 23 nouvelles références dont les exportations voient ces mêmes exemptions éliminées. En outre, la Chine augmentera les taxes à l’export de certains intrants des aciéries, comme la fonte et le ferrochrome.

Toujours à partir du 1er août, Moscou, de son côté, introduit pour 6 mois une taxe de 15 % sur l’exportation de certains métaux, dont l’acier.

Ces mouvements ont de profondes conséquences pour le marché de l’acier et sont les prémices d’une large redistribution industrielle mondiale.

La hausse des prix de l’acier depuis 6 mois bénéficie aux aciéries européennes, mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Désormais, la question qui va se poser est bien de savoir si les États européens ont conservé les capacités de production suffisantes pour soutenir la demande de leurs secteurs de souveraineté et d’autres tels que l’automobile, ou bien s’ils seront par trop dépendants de sociétés non européennes.

Par exemple, notre Union européenne a-t-elle suffisamment de capacité sidérurgique pour continuer de construire à des coûts acceptables – et avec des aciers répondant aux normes ISR – ses navires de guerre, ses avions, ses chars et tous ses véhicules nécessaires aux armées ? Est-elle également totalement indépendante pour réparer avec un acier « vert » une frégate ou un porte-aéronefs qui aurait été touché par un missile ? L’automobile, déjà handicapée par la pénurie de puces électroniques et sous l’emprise technologique de l’Asie pour les batteries, est-elle sous la domination du contrôle exercé par des producteurs d’aciers extra-européens  conforment eux également aux normes ESG ? En d’autres termes, puisqu’au fil des renoncements industriels des consommateurs européens d’aciers, ces derniers sont devenus très dépendants de l’extérieur, est-il à craindre qu’au gré de surcoûts fiscaux environnementaux sur les métaux de base (et non sur ceux de la stupide infox des « métaux rares »), ils préparent la place à ma théorie de la consommation compétitive énoncée il y a quelques années ?

Les questions sont encore nombreuses, mais il faudra encore attendre d’en savoir plus pour trouver des réponses fiables. Toutefois, le contexte d’une consommation compétitive est dessiné avec plus de précision.

Premièrement, Pékin justifie ses réajustements de TVA à l’export d’acier par l’objectif de neutralité carbone en 2060. Les moyens sont un contrôle plus strict des pollutions de son industrie en ayant pour objectif de maintenir la production sidérurgique sous celle atteinte en 2020 et d’augmenter le recyclage puisqu’elle détient désormais un stock de déchets important. L’aciérie chinoise se réforme grâce à la lutte contre le changement climatique, ses unités de production ne seront plus l’usine-du-monde. L’effet collatéral également recherché est une réduction des prix locaux des aciers grâce à la redirection de leurs volumes vers le marché intérieur.

Autre conséquence, en 10 ans, la production sidérurgique chinoise annuelle a quasiment doublé pour représenter plus de 50 % de la production d’acier mondiale, faisant de la Chine le premier producteur de la planète. De son côté, la Russie est le premier exportateur d’acier mondial et, avec la Turquie, le principal exportateur d’acier vers l’Europe, alors que cette dernière de son côté initie des taxes carbone à ses frontières. Puisque la sidérurgie européenne est sous-capacitaire par rapport à la demande de l’Union, les hausses au 1er août du coût des exportations chinoises et accessoirement russes — si cette dernière se poursuit au-delà du 31 décembre 2021 — bénéficient certes aux aciéristes européens, mais surtout aux exportateurs vers l’Europe d’aciers turcs, ukrainiens et indiens. De plus, même si ces derniers alourdissaient également leur fiscalité métallurgique à l’export, ni Moscou ni Ankara ni Kiev ni Nouvelle-Delhi n’ont les capacités sidérurgiques pour remplacer celles de Pékin.

 

Pour garantir ses souverainetés, l’Union devra donc grandement investir dans d’anciennes industries, qui sont lourdes en émission de carbone. Ces investissements dans l’acier, les cimenteries, la pétrochimie, le transport de marchandises (routier ou maritime) ou encore les centrales électriques feront appel à de nouveaux éléments respectueux de l’environnement, tel que l’hydrogène, mais l’ensemble coûtera plus cher.

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