Passe sanitaire : Un déficit de pédagogie et de proportionnalité
Le philosophe Abdennour Bidar s’étonne, dans une tribune au « Monde », que le principe de proportionnalité ne soit pas davantage au cœur du débat public pour juger du bien-fondé des mesures sanitaires. Cela permettrait à l’Etat de faire preuve de pédagogie vis-à-vis des plus réticents à la vaccination contre le Covid-19.(extraits )
Le Conseil d’Etat s’est exprimé le 19 juillet sur le projet de loi relatif à l’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire, mais, curieusement, sa réflexion a très peu mobilisé le principe de proportionnalité. En 2018, son vice-président honoraire, Jean-Marc Sauvé, en développait la définition dans Les Cahiers Portalis :
« La puissance publique ne peut limiter la liberté des citoyens que “dans la mesure indispensable à la protection des intérêts publics” (Schwarze, 2009) : elle doit assurer en priorité la garantie des droits fondamentaux. Entre l’intervention de la puissance publique au nom de l’intérêt général et la sauvegarde des droits et des libertés des citoyens, le principe de proportionnalité permet d’opérer une mise en balance, métaphore de la justice. (…) Une mesure restrictive des droits et des libertés doit donc être à la fois appropriée ou adaptée, nécessaire et proportionnée. »
Comment se fait-il que le principe de proportionnalité ne soit pas au premier plan aujourd’hui dans le débat public alors qu’il est sans doute incontournable pour juger du bien-fondé des mesures sanitaires prises par l’Etat français depuis le début de la crise ? Pour cet Etat, sa mobilisation serait le signe qu’il considère les citoyens comme des êtres doués de raison, invités à réfléchir sur la série des questions éthico-politiques ouverte par ce principe.
Le degré de coercition de l’action de l’Etat en matière de sécurité sanitaire (confinements, couvre-feux, obligation du port du masque, contrainte forte à la vaccination) est-il bien proportionné au degré de menace du virus et à la pleine garantie des droits fondamentaux des citoyens ?
Comment a été pensé, s’il a été pensé, l’équilibre entre les réponses apportées à la menace et les lourdes conséquences humaines et sociales de ces réponses, avec toutes les détresses qu’elles ont causées ? Comment a été pensé l’équilibre entre le souci de protection de la santé publique et la préservation des libertés élémentaires d’aller et venir, des droits sacrés de visiter les mourants et les personnes âgées, du droit de disposer de son propre corps en se faisant vacciner ou pas – bref, tout ce qui a été si gravement affecté ces derniers temps ?
Voilà sur quoi l’Etat et les médias gagneraient à faire porter le débat public, parce que cet Etat ferait ainsi de son action une réelle question de justice. Il serait par là même transparent en proposant la « publicité » de cette action, au sens qu’Emmanuel Kant donnait au concept : un Etat est démocratique quand il expose « publiquement » les motifs de son action pour donner aux citoyens les pleins moyens d’en juger par eux-mêmes.
0 Réponses à “Passe sanitaire : Un déficit de pédagogie et de proportionnalité”