La démocratie bâclée
L’adoption hâtive de lois sous la pression de l’urgence sanitaire ou terroriste mine la légitimité de la représentation nationale, même si le droit parlementaire n’est nullement bafoué, souligne, dans une tribune au « Monde » , le juriste Raphaël Morel.’extrait)
Tribune.
Pandémie oblige, le temps parlementaire est contraint depuis le début de la crise. L’adoption, en six jours seulement, de la loi du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19 avait déjà soulevé des réserves quant à la rapidité et la qualité des débats législatifs. Face à la première vague, il fallait pourtant sortir de la torpeur pour adapter notre législation.
C’est dans un contexte différent qu’est intervenue l’adresse aux Français du président de la République le 12 juillet 2021 : la vaccination a débuté et produit ses premiers effets, le virus est mieux connu, y compris dans ses variants, et, malgré un rebond épidémique indéniable, nul ne contestera que la situation sanitaire a évolué depuis la sidération qui frappa le pays en mars 2020.
Pourtant, le président de la République annonçait l’adoption de toute urgence d’une loi d’ici au 1er août 2021, soit moins de vingt jours après. Il n’y a là aucune difficulté juridique. Aucune norme ne prescrit de délai minimal entre le dépôt d’un texte, qui plus est en lecture accélérée, et son vote. Aucune règle n’impose de soumettre ces questions à de longs débats devant la nation.
Par ailleurs, l’adaptation de l’arsenal législatif actuel est déjà indispensable pour envisager la sortie de la crise sanitaire. Le procédé interroge néanmoins. Dans son avis rendu le 19 juillet, le Conseil d’Etat constate « qu’eu égard à la date et aux conditions de sa saisine il a disposé de moins d’une semaine pour rendre son avis », situation « d’autant plus regrettable que le projet de loi soulève des questions sensibles et pour certaines inédites ».
Le 20 juillet, le texte était soumis à la commission des lois de l’Assemblée nationale, non sans protestations des députés indiquant l’avoir reçu la veille à 23 h 45 pour exercer leur droit de dépôt des amendements, essentiel au fonctionnement sain de la démocratie, jusqu’à 16 heures. Après un examen inéluctablement sommaire par le rapporteur de la commission, nommé le jour même, les 600 amendements déclarés recevables ont été examinés immédiatement, de 17 heures… à plus de 5 heures du matin.
Dans ces conditions et délais, comment garantir un travail parlementaire de qualité, qui ne conduise par le Parlement à faire office de « chambre d’enregistrement » du texte gouvernemental, comme cela lui est souvent reproché ? Comment assurer une réflexion parlementaire sereine, apaisée et efficace sur des dispositions dont le Conseil d’Etat a relevé qu’elles « imposent la recherche d’une conciliation délicate entre les exigences qui s’attachent à la garantie des libertés publiques et les considérations sanitaires » ?
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