Plan climat de la commission européenne : la confusion entre sobriété et précarité
Clément Sénéchal, porte-parole « Climat » de l’ONG Greenpeace France considère que le plan européen va surtout frapper les ménages les moins favorisés. (Interview France Info, extrait).
Est-ce que ces douze propositions de la Commission européenne sont à la hauteur de l’enjeu ?
Comme souvent, le diable se cache dans les détails. Déjà, l’objectif nos émissions de 55% d’ici à 2030 est trop faible et surtout, c’est un objectif de baisse nette, c’est-à-dire que ce n’est pas un objectif de baisse réelle ou de baisse brute. En réalité,on compte sur de la compensation carbone. Quand on fait le calcul, il s’agit plutôt d’une baisse de 50% que nous prépare la Commission. Or, l’ONU et le consensus scientifique nous dit qu’il faudrait réduire nos émissions de 7,6 % par an, donc être plutôt à moins 70% en 2030. Ensuite, quand on regarde les différentes réformes législatives mises sur la table, effectivement, elles sont ambitieuses de prime abord, mais beaucoup moins quand on regarde dans le détail.
« Par exemple, la fin des ventes des véhicules thermiques est indispensable mais ça fait des années que les ONG réclament cette mesure. Mais sur une date qui serait de 2030 au plus tard, et non pas 2035 si on veut respecter l’objectif de neutralité carbone en 2050. »
Idem pour la taxation du kérosène, donc du carburant pour l’aviation, c’est indispensable également. Mais on nous dit, en fait, que ça ne va concerner que les vols européens et donc la moitié des émissions du secteur, puisqu’on va exempter les vols hors Union européenne, les vols internationaux qui dépassent les frontières. D’autant que cette taxation, ne sera finalisée que dans dix ans, ce qui est complètement aberrant. Pendant ce temps-là, le secteur aérien va bénéficier, comme il en a déjà bénéficié pendant de nombreuses années, de niches fiscales sur le kérosène.
Est-ce que la taxe carbone aux frontières ne peut pas limiter les importations depuis des pays lointains comme la Chine qui font beaucoup de dégâts et polluent énormément ?
Ce n’est pas forcément une mauvaise mesure. Simplement, si en parallèle on ne répare pas le marché carbone existant, ça ne sert à rien. Le marché carbone est un marché sur lequel on s’échange des droits à polluer, qui sont émis initialement par la Commission européenne. C’est une manière parmi d’autres de fixer prix à la tonne de carbone. Aujourd’hui malheureusement, sur le marché carbone européen, il y a un prix de la tonne de carbone qui ne concerne pas l’ensemble des industries, il concerne à peine 6% des émissions industrielles. Parce qu’on a des monceaux de quotas gratuits de droits à polluer qui sont qui sont alloués gratuitement, par exemple au secteur aérien, par la Commission européenne.
Par ailleurs, il faudrait fixer un prix plancher à cette tonne de carbone. Il faudrait que ce prix suive une trajectoire haussière pluriannuelle pour atteindre 180 euros d’ici à la fin de l’année. Il faut aussi réduire drastiquement le nombre de quotas en circulation sur le marché carbone, sans cette réforme du marché carbone, cette taxe aux frontières ne servira à rien.
A côté de ça, vous avez des propositions qui sont dangereuses, comme l’élargissement du marché carbone européen au secteur du bâtiment et du transport routier. Jusqu’à présent il concernait surtout les installations industrielles, il était donc acquitté par les entreprises, par l’appareil productif. Sauf qu’avec cet élargissement, on va surtout frapper les consommations populaires. On va faire monter la facture de carburant et de chauffage et donc on va venir percuter des pratiques qui sont captives, qui sont qui sont incontournables aujourd’hui pour les classes populaires. Donc, on va engendrer de la précarité supplémentaire.
Il y a donc selon vous des risques de surcoût pour de nombreux ménages ou certaines entreprises aussi, on pense aux factures d’eau, de carburant, de fioul ou de gaz ?
Cet élargissement du marché carbone au secteur du bâtiment et au secteur du transport routier va frapper les ménages les plus précaires. D’autant plus brutalement qu’on est sur un marché, et donc, on est sur des mécanismes qui sont spéculatifs et qui entraînent une volatilité des prix extrêmement brutale. La Commission doit changer de matrice idéologique. Aujourd’hui, elle doit changer l’équation sur le partage de l’effort. C’est aux multinationales et aux ménages les plus aisés de faire la grande part de l’effort. Sinon, on confond sobriété et précarité.
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