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Droits de succession : critique du rapport Blanchard – Tyrol

Droits de succession : critique du rapport Blanchard – Tyrol

Pour Jacques-Henry de Bourmont, avocat, les propositions de fiscalité concernant les droits de succession du rapport Blanchard Tyrol sont confiscatoire (dans l’Opinion, extrait)

La première critique concerne la composition de la commission qui n’inclut aucun juriste ou fiscaliste. Conséquence, les propositions du rapport, revenant indirectement à augmenter les droits de donation ou de succession, risquent selon nous d’être irréalisables au plan juridique. Il est très regrettable de ne pas avoir abordé ces questions dans le rapport afin d’avoir des recommandations réalistes et concrètes.

 Les droits de succession viennent taxer un capital accumulé qui a déjà été soumis à l’impôt sur le revenu et à celui sur la fortune immobilière. Pour les hauts patrimoines, on peut prendre comme hypothèse que le taux moyen d’imposition, y compris la CSG/CRDS, est de 50 %. Ceci signifie que les droits de donation qui vont être exigibles lors de la donation ou de la succession vont se cumuler avec l’impôt sur le revenu et l’IFI déjà payé au cours de l’accumulation du capital, ce qui peut conduire à des niveaux de taxation effective de plus de 70 % !

Ainsi, lorsqu’un couple de moins de 80 ans, souhaite transmettre son capital à ses deux enfants majeurs par voie de donation un million d’euros (soit 500 000 euros par enfant), les droits de donation représentent déjà 14 %, soit un taux effectif d’imposition global IR et droits de donation de 54 %. Cela signifie que l’Etat s’arroge 54 % du travail du défunt. Si le capital transmis dans les mêmes conditions s’élève au total à 5 millions, le taux effectif de la donation s’élève à 33 %, ce qui fait un taux effectif d’imposition globale IR et droits de donation de 67 % ! Avec une donation de 20 millions, l’imposition globale s’envole à 71 %…

Ces niveaux de taxation soulèvent des questions réelles de conformité avec la position du Conseil Constitutionnel en matière d’égalité devant les charges publiques qui interdit les niveaux de fiscalité confiscatoire (cf. décision CC n°2012-662 DC du 29 décembre 2012 sur la conformité de l’article 3 de la loi de Finances pour 2013). Ces niveaux soulèvent également des questions juridiques de conformité par rapport à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et au Protocole n°1 de l’article 1 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le respect de la propriété privée.

Egalité des chances. Dans le rapport Blanchard-Tirole, ces problématiques juridiques sont ignorées… pour analyser discrètement un moyen de redistribuer de manière plus large (entendez taxer plus) en mettant le compteur non plus au niveau du donneur mais au niveau du donataire. Ce nouvel alourdissement des droits pourrait être légitimé par la course effrénée à la mise en place du principe d’égalité des chances, mais il se heurterait toujours aux principes juridiques rappelés ci-dessus.

On peut ensuite s’interroger sur la manière d’analyser le principe d’égalité des chances au plan économique et juridique car, avec un Etat dont l’endettement dépasse désormais largement les 100 % du PIB, il faudrait d’abord penser à créer de la richesse plutôt que de se focaliser sur ce principe. Ce type de raisonnement conduira à terme à partager uniquement des dettes.

Dans ce contexte, il vaut mieux s’attacher à regarder comment les droits de donation ou de succession peuvent impulser un effet économique maximum sur la création de la richesse au niveau de l’offre et non de la consommation. Une approche iconoclaste du principe d’égalité des chances conduit donc d’abord à s’interroger sur la manière d’optimiser ces droits pour développer l’entrepreneuriat en France, préalable nécessaire à la création de richesse. Dans cette optique, on peut regretter que le rapport n’envisage aucunement comment donations ou successions pourraient développer le tissu économique français. Il existe pourtant de nombreuses études sur le sujet dont aucune n’est citée dans le rapport Blanchard-Tirole et dont les conclusions sont intéressantes. Un oubli involontaire ?

Il faut très rapidement changer de paradigme pour revoir de notre fiscalité et la mettre entièrement au service de la création de richesse

A titre d’illustration, dans la revue OFCE (2015/3 n°139), André Masson note, en s’appuyant sur les recherches du professeur Philippe Aghion, que la taxation du capital devrait être modérée pour deux raisons : il représente une double taxation (ce que nous avons vu plus haut) et ce type d’impôt constitue un frein à l’épargne, à la prise de risque et à l’investissement dans l’innovation. Il propose un modèle alternatif appelé « Taxfinh » (Tax Family Inheritage) prévoyant une taxation progressive des seuls héritages familiaux et un allègement des transferts inter-vivos et des legs caritatifs. Son intérêt est d’inciter à transmettre plus de capital à des personnes actives qui peuvent facilement devenir entrepreneur. Une transmission tardive du patrimoine enlève en effet une partie des chances de voir les héritiers investir dans des actifs risqués. La compétition pour être le plus riche du cimetière doit avoir un coût réel.

Aux Etats-Unis des études passionnantes ont réalisées sur le lien entre les donations et l’entreprenariat, analyse que nous appelons de nos vœux en France mais qui supposerait de prendre avec courage du recul par rapport au principe d’égalité des chances. L’étude de Leonard E. Burman, Robert Mc Celland et Chenxi Lu réalisée en mars 2018 dans le cadre du Tax Policy Center (« The Effect of Estate and Inheritance Taxes on Entrepreneurship »), montre qu’il existe un lien entre réception d’une donation et d’un héritage et lancement par le bénéficiaire d’une entreprise. Selon les auteurs, la réduction d’un million de dollars du montant d’un héritage (du fait de l’impôt), réduit la probabilité de lancer une entreprise de 1 %. C’est pour cette raison que le régime américain actuel prévoit une exonération de 11,2 millions de dollars par parent au profit de leurs enfants, soit un total exonéré de 22,4 millions. Cette mesure « choc » a pour objectif de pousser les parents à transmettre leur capital très tôt et à inciter les enfants à se lancer dans l’entrepreneuriat. En France, les abattements sont de 100 000 euros tous les 15 ans !

Attractivité. Dans le contexte de mondialisation, il faut penser grand, européen et attractivité du territoire français. Comment dans ces conditions assurer l’attractivité de la France pour les centres de décisions des entreprises ? Comment pouvons-nous imaginer les attirer avec une fiscalité confiscatoire sur les donations et les successions, alors que les droits sont supprimés en Suède, limités à 10 % au Portugal, 8 % en Italie et deux fois moins importants en Allemagne ?

Il faut donc très rapidement changer de paradigme pour revoir de notre fiscalité et la mettre entièrement au service de la création de richesse. C’est de cette manière que l’on arrivera à assurer une meilleure mise en place du principe d’égalité des chances, surtout pour les moins formées. Il faut créer du dynamisme économique pas uniquement pour la French Tech, mais également et surtout pour la Low Tech, c’est-à-dire dans les domaines où il y a le plus de chômage.

Inventer un cadre fiscal très attractif pour ceux qui prennent de risques importants sur leur capital en l’investissant dans des entreprises et dans la création d’emploi est donc une nécessité alors que la période actuelle peut se révéler comme une opportunité pour construire cette nouvelle économie. La réforme des droits de donation et de succession doit s’inscrire dans cette démarche et très rapidement pour éviter le choc qui va arriver dès l’arrêt des aides financières. La course de vitesse est lancée, et pas uniquement avec le virus… Il est temps que la France trouve son vaccin contre le virus de la fiscalité excessive et non compétitive !

Jacques-Henry de Bourmont, avocat à la Cour, Associé Jeantet.

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