Réforme européenne de la taxe carbone : le risque d’un retour des gilets jaunes
Les technocrates de Bruxelles ont décidé de réformer profondément le marché de la taxe carbone, en gros d’augmenter de manière assez considérable le coût à polluer. Le problème c’est que désormais ce dispositif pourrait concerner deux secteurs stratégiques pour les consommateurs à savoir le transport et le chauffage. Pascal Canfin , ancien vert rallié à la république en marche s’inquiète des conséquences dans la tribune (extrait). Des conséquences susceptible de ranimer la colère des gilets jaunes
Le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre a été présenté comme l’un des principaux outils à disposition de l’Europe pour réussir sa transition climatique. Il a été établi en 2005. Pourquoi faut-il déjà le réformer ?
Pascal Canfin - Historiquement, le prix de la tonne de CO2 s’est longtemps situé entre 5 euros et 15 euros. Cela ne changeait rien aux modèles économiques. Quand ce prix atteint 50 euros, vous impactez plus profondément la rationalité économique des industriels. Les technologies décarbonées deviennent rentables et le charbon ne l’est plus. Le prix de la tonne de CO2 va probablement se stabiliser à court terme autour de 60 euros. Dans des secteurs comme l’aluminium, le ciment, les fertilisants, la chimie ou l’électricité, on bascule alors vers un monde où les technologies décarbonées deviennent rentables. En contrepartie d’une augmentation du prix du carbone nécessaire pour atteindre nos objectifs, il est normal, en parallèle, de mettre en place un ajustement carbone aux frontières. Cela assurera une concurrence équitable vis-à-vis des industriels qui, comme les Chinois, les Indiens ou les Turcs, paient chez eux zéro euro sur le carbone.
La Commission européenne prévoit d’annoncer un nouveau marché carbone spécifique au carburant et au chauffage. Cela équivaudrait à la création d’un système pollueur-payeur pour les ménages. Une telle proposition vous semble-t-elle acceptable ?
Je soutiens très fortement le paquet climat de la Commission, mais pas cette proposition de nouveau marché contre laquelle je me bats depuis plusieurs semaines. Taxer les ménages serait une erreur politique. Il est pertinent de mettre en place un prix du carbone pour les entreprises. Elles peuvent réaliser des calculs de rentabilité à dix ans, changer de fournisseur, licencier des salariés et en embaucher d’autres. Une famille ne va pas licencier ses enfants, elle ne va pas arrêter de les mettre à la crèche même si cela implique de s’y rendre en voiture. Le raisonnement ne peut pas être le même que pour les entreprises. Le prix du carbone est donc un bon outil pour les acteurs économiques rationnels. Pour les ménages, d’autres solutions existent.
Quels freins entendez-vous activer si cette proposition est effectivement posée sur le tapis ?
Je suis persuadé qu’il n’y a pas de majorité au Parlement européen, et qu’il n’en existe pas au Conseil non plus. Cette mesure, si elle est proposée par la Commission européenne, ne verra jamais le jour. En tant que président de la commission Environnement au Parlement européen, je suis contre. La majorité du groupe Renew est contre. Les ONG environnementales et les verts y sont également opposés. Tous les pays qui sont d’habitude des amis du Green Deal sont contre, comme la France ou l’Espagne. C’est une mauvaise idée qui vient de la CDU en Allemagne et Ursula von der Leyen ne devrait pas la reprendre à son compte.
Le système actuel d’échange de quotas d’émission prévoit de nombreuses exceptions et des quotas gratuits dans certains secteurs. Faut-il faire table rase et considérer tous les secteurs industriels à égalité ?
L’extension prévue au secteur maritime et à l’aviation va dans le bon sens. Il n’y a aucune raison que ces deux secteurs ne contribuent pas à l’effort climatique. La baisse des quotas gratuits est un élément primordial de la réforme. Il ne s’agit pas de les arrêter du jour au lendemain, mais de les diminuer de manière transitoire jusqu’à les faire disparaître. Ma proposition est de conditionner le solde de quotas gratuits à la réalisation des investissements qui permettent la décarbonation de l’industrie. Par exemple, quand une entreprise comme ArcelorMittal investit dans l’acier décarboné, cet investissement vert devrait continuer de générer des quotas gratuits. Il semble logique de ne pas leur faire payer le CO2 en même temps.
Le prix élevé du carbone ne risque-t-il pas de rendre certaines industries françaises moins compétitives ?
Il y a trois éléments indissociables. Nous sommes favorables à un fonctionnement du marché carbone qui passe par un prix élevé, mais aussi à une baisse des allocations gratuites et à la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour assurer une concurrence équitable. Je n’irai pas devant les salariés de cimenteries, d’aciéries ou d’usines d’aluminium pour leur annoncer que des emplois vont être supprimés parce qu’on met un prix du carbone à 60 euros pendant que l’acier chinois ou turc arrive chez nous à zéro euro.
Le mécanisme européen d’ajustement aux frontières est-il compatible avec les règles de l’OMC ?
Oui. Même Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC, défend ce mécanisme. Je tiens à envoyer un message à nos partenaires commerciaux : nous ne voulons pas rentrer dans une guerre commerciale pour le climat ! Nous ne sommes pas là pour faire des choses discriminatoires ou dérogatoires vis-à-vis des règles de l’OMC. Ce que nous voulons, c’est utiliser des règles de l’OMC qui permettent, pour des raisons environnementales et climatiques, de mettre en place des mécanismes d’ajustement. Nous serons les premiers au monde à le faire. Nous serons très probablement attaqués par quelques pays. Mais nous gagnerons à la fin parce que depuis le début, nous concevons ce dispositif pour qu’il soit compatible. On pourra dire aux Chinois, aux Indiens et aux autres que tout le monde a signé les règles de l’OMC et que notre dispositif y est conforme. Il n’y aura aucune raison de considérer qu’il s’agit de protectionnisme.
La France a défendu ce principe d’ajustement aux frontières depuis au moins deux décennies. Pourquoi l’idée ne s’est-elle pas concrétisée plus tôt ?
La France défend cette idée depuis l’époque de Jacques Chirac. On n’a jamais trouvé de majorité parce que la France était moins influente. Désormais, c’est le cas.
Pour atteindre ses objectifs climatiques, l’Europe entend mettre certains secteurs de l’industrie sous pression. L’automobile est dans le viseur avec la révision des normes d’émissions pour les voitures. Les industriels sont-ils prêts ?
La réforme des standards CO2 de l’industrie automobile est un élément clé du paquet de la Commission européenne, qui pourrait conduire à la fin de la vente des voitures thermiques en 2035. L’industrie automobile m’est apparue profondément divisée à ce sujet. Des acteurs comme Volkswagen ou Renault y sont favorables parce qu’ils possèdent un temps d’avance dans leurs investissements. D’autres comme BMW sont contre. Je ne sais pas si Stellantis est pour ou contre, mais Carlos Tavares sait que cette échéance sera inéluctable. Je défends par ailleurs l’idée d’un fonds de transition juste « auto », essentiel pour accompagner les salariés des PME directement concernés, et à qui il faut proposer de nouvelles perspectives.
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