La France a bradé son football à Amazon
Jean-Pascal Gayant, Profeseur de sciences économiques, estime qu’en choisissant de confier 80 % des retransmissions des matchs des championnats de France au géant américain Amazon, la LFP s’est comportée comme une écervelée, juge l’économiste, faisant du football professionnel français un simple outil de promotion d’une entreprise de commerce en ligne.
Tribune dans le Monde
. La Ligue de football professionnel (LFP) a choisi de confier 80 % des retransmissions des matchs des Ligues 1 et 2 au géant américain Amazon. Pour 259 millions d’euros annuels, la LFP a bradé la diffusion de son produit phare pour les trois prochaines années, tout en figeant dans le marbre l’historique lot 3 attribué en 2018 à BeIN Sports pour 332 millions d’euros annuels. Ce lot 3, qu’avait ensuite « racheté » Canal + (en contrat de sous-licence), contient la diffusion des 20 % restants de la Ligue 1, sans le match phare du dimanche soir. Son tarif paraît aujourd’hui extravagant, ce qui pousse Canal + à annoncer son retrait de la diffusion de la Ligue 1. La chaîne BeIN Sports semble solidaire de Canal + dans ce bras de fer, puisqu’elle n’a pas honoré le premier versement (relatif aux droits de la Ligue 2) pour la saison 2021-2022. Les bases d’un violent contentieux avec la LFP sont jetées.
Sans présager de l’issue de ce nouveau feuilleton, il convient de se pencher sur le choix fait par la LFP de privilégier l’option Amazon (et de s’engager dans un bras de fer impitoyable avec le diffuseur historique), au regard de la solution alternative qui consistait à conforter Canal + et BeIN pour un montant global quasi identique.
On serait tenté de reprendre la formule prêtée à Winston Churchill (à destination de Neville Chamberlain) à l’issue des accords de Munich : « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. »
Si la Ligue avait vendu ses droits de diffusion à Amazon pour une somme comparable à celle que promettait l’ancien diffuseur MediaPro (800 millions d’euros annuels), l’entrée en guerre de Vincent Labrune, président de la LFP, aurait été compréhensible. Pour les chaînes de télévision conventionnelles, se projeter dans le « monde d’après » en se liant avec Amazon représente un risque important en termes de souveraineté et de mise en valeur du produit. Mais une rémunération élevée aurait apporté aux clubs une sécurité pécuniaire bienvenue, à l’heure de se relever du double séisme MediaPro-Covid-19. Loin de cela, la LFP n’apporte aucune garantie financière sérieuse aux clubs, tout en faisant entrer le loup dans la bergerie.
Pour le mastodonte du commerce en ligne, les droits de diffusion sportive sont une sorte de papier tue-mouches : il s’agit d’attirer des clients et leurs données pour les rendre captifs de l’environnement Amazon. Même sans augmenter le prix de l’abonnement à Amazon Prime (49 euros par an), les droits de la Ligue 1 à 259 millions d’euros sont un investissement très rentable pour la firme de Jeff Bezos : une fois intégré à l’écosystème Amazon (livraisons gratuites et plus rapides, avantages à l’achat), le consommateur en devient un prisonnier béat. La diffusion de la Ligue 1 va conduire des centaines de milliers de consommateurs, qui n’étaient pas encore convaincus du bien-fondé de l’entrée dans cet écosystème, à franchir le pas.
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