Quelle politique migratoire européenne ?

Quelle politique migratoire européenne ?

 

Pour Margaritis Schinas, Vice-président de la Commission européenne, : «L’Europe ne peut pas se permettre de ne pas avoir de politique migratoire» (Interview dans l’Opinion)

 

 

Faut-il s’inquiéter de voir, aujourd’hui, le Premier ministre « illibéral » de la Slovénie assurer la présidence tournante de l’Union européenne ?

C’est vrai que le gouvernement slovène est idéologiquement très chargé. Il semble tenté de vouloir imposer ses idées politiques alors qu’une présidence européenne est avant tout un exercice de compromis. Il sera sans doute obligé d’évoluer vers le centre. Il va vite s’en rendre compte à l’image de Janez Jansa, le Premier ministre slovène, attendu de pied ferme ce mardi par le Parlement européen. Cela reste néanmoins à mes yeux un gouvernement qui peut travailler pour l’Europe.

Y a-t-il un problème avec les anciens pays de l’Est ?

Je ne crois pas qu’il faille un « homo europeus » qui agirait et penserait de la même façon. Je ne prêche pas pour une uniformité de vue en Europe. En revanche, je pense qu’il existe un « corpus europeus » autour des valeurs. Il y a un certain modèle de société et de démocratie qui pousse tout le monde à travailler ensemble. Alors, oui, il y a quelques gouvernements qui n’ont pas évolué vers cette défense universelle de notre modèle ; qui mettent sur la même ligne Bruxelles et Moscou ; qui simplifient les choses et polarisent l’opinion. Plusieurs clivages (villes contre territoires, religions, etc.) sont encore très présents dans cette Europe « illibérale ». Tous les pays européens sont passés par là. Il y aura demain une nouvelle génération en Hongrie, en Pologne et en Slovénie qui poussera vers le courant dominant et partagera nos valeurs.

En attendant cela bloque l’UE…

Oui, parfois. Cela gêne comme on l’a vu lors du dernier conseil européen sur la question des LGBT ou de la Russie. Mais ces blocages peuvent aussi aider l’Europe. Ils donnent des arguments à ceux qui veulent avancer plus vite en ayant recours, par exemple, à la majorité qualifiée ou à des formules alternatives. Ce n’est pas facile de bloquer l’UE. Prenez les vaccins ou le plan de relance ! Qui aurait dit, il y a quelques mois, que nous allions acheter quelque 4 milliards de doses pour l’ensemble des pays membres. Il faut voir la partie positive des choses.

L’immigration fait partie des points de blocage. Comment voyez-vous la situation ?

Le principal problème, c’est que nous n’avons pas de politique européenne en matière de migrations. Tous les événements auxquels on assiste dans les îles grecques, à Calais, aux Canaries, à Ceuta en sont le résultat. Or, il y a de quoi s’alarmer alors que 20 millions de personnes en Afrique du nord n’ont pu travailler dans le tourisme du fait de la pandémie ; que les talibans sont en train de reprendre la main en Afghanistan et que le dérèglement climatique pousse les gens à l’exil. C’est pourquoi nous avons mis sur la table, en septembre, le « pacte sur la migration et l’asile ». Il comprend trois volets. Le premier vise à nouer des accords très poussés avec les pays d’origine et de transit. On ne peut pas gérer la situation en interne si on ne le fait pas en externe. Le second volet concerne le renforcement de Frontex et des frontières européennes avec des procédures très claires et des retours rapides. Le troisième touche à la solidarité avec la mise en place d’un système de partage du fardeau sans recourir à des quotas. Dès qu’un Etat membre sollicitera de l’aide, l’idée est de lui offrir, sans conditions, le niveau de solidarité requis. Cela peut être une présence immédiate pour tenir la frontière, des délocalisations rapides ou l’envoi d’équipes pour gérer sur place les demandes d’asile, etc. Au cas où une demande ne serait pas totalement satisfaite, la Commission aura le droit d’imposer aux Etats membres la partie de solidarité manquante. Mais, à mon avis, ce ne sera pas nécessaire car il y aura tout un éventail de types de solidarité.

Quand ce paquet sera-t-il adopté ?

Je compte sur la présidence française pour faire avancer le dossier, tout du moins dans ses premiers mois. La France comme l’Allemagne est favorable à cette proposition mais je suis conscient qu’il puisse y avoir des limites en période de campagne électorale comme ce sera le cas dans les deux pays dans les semaines et mois à venir. Ce serait bien d’arriver à un accord complet d’ici à un an. L’Europe ne peut pas se permettre de ne pas avoir de politique commune en la matière.

Un an, n’est-ce pas déjà trop tard avec la pression qui monte ?

Nous sommes en début de budget, nous avons donc de l’argent pour intervenir dans ces pays. Nous pouvons aussi mobiliser les visas, les préférences commerciales, les bourses Erasmus… Il faut des partenariats gagnants-gagnants pour aider ces Etats à garder les migrants chez eux. Nous devons aussi les pousser à mieux assumer leurs contrôles aux frontières. Ce point fait consensus. C’est moins le cas pour le reste du paquet. Or, certains Etats membres ont indiqué qu’il n’était pas question de faire de la vente à la découpe. C’est tout ou rien.

Comment évoluent les relations avec la Turquie ?

C’est un voisin difficile. Mais comme dans chaque copropriété, il faut bien vivre avec ses voisins. Les Turcs continuent d’accueillir 3,5 millions de réfugiés syriens. Nous travaillons au renouvellement de l’accord avec Ankara, pour un montant d’environ 3 milliards d’euros. Pour la première fois, nous pourrions verser une partie de cette somme directement aux autorités qui gèrent la crise et plus uniquement aux ONG.

Et avec le Maroc et la Libye ?

Il y a eu des tensions avec l’Espagne mais dans l’ensemble, le Maroc joue le jeu. Je ne le vois pas comme un problème systémique. Ni la Libye où pour la première fois nous avons un gouvernement, donc un interlocuteur. Espérons en revanche que l’Afghanistan reste gérable.

Combien de migrants pourraient arriver dans le pire des scénarios ?

Le scénario noir, c’est celui dans lequel on ne sait pas. D’où la nécessité de trouver le plus rapidement possible un accord sur le pacte européen. L’absence de régulation des flux migratoires est aujourd’hui la première force d’attraction pour les trafiquants. Une aubaine !

Vous êtes aussi responsable du risque cyber. Que propose la Commission ?

C’est pour nous la priorité des priorités. La cybersécurité n’est plus cantonnée au silo technologique, c’est une question de sécurité nationale. L’attaque cyber contre le pipeline aux Etats-Unis, qui s’est traduite par une attaque sur une infrastructure physique critique, a servi de « wake up call » au Conseil européen. Tant qu’il ne se passait rien, on regardait le dossier de loin. Dès le mois de novembre, nous avons proposé avec Thierry Breton un paquet cyber qui est aujourd’hui sur la table du législateur. Il comprend une directive pour la sécurité des réseaux, une autre pour la protection des infrastructures critiques (ports, aéroports, nucléaire, réseaux d’énergies…) et la création d’une « cyber unit », un réseau d’experts européens. Notre écosystème doit être capable de répondre automatiquement à toute attaque transnationale.

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