Droits de succession: Le débat français surréaliste
Jacques-Henry de Bourmont, Avocat à la Cour, associé Jeantet, Roch Baeza, Avocat à la Cour, Jeantet Revient sur la problématique des droits de succession ( dans l’Opinion)
En vérité un débat de plus en plus surréaliste dans la mesure les héritiers ont déjà atteint l’âge de 60 à 70 ans et que leur avenir est déjà largement entamé. Observons cependant que les batailles de succession sont d’autant plus acharnées que les héritiers sont vieux ! La question se pose évidemment des conditions de transmission de certaines entreprises en particulier les petites et moyennes mais la problématiques est plus large, elle doit aborder la question de la redistribution d’une richesse attribuée sans réelle légitimité autre que celle d’une logique de type monarchique. (NDLR)
Transmission : ce seul mot déclenche les débats les plus enflammés dans l’hémicycle, encore très récemment (1), tant il illustre à merveille les vieilles querelles idéologiques et politiques françaises : la France reste marquée par son histoire passionnée et la transmission, qu’elle soit matérielle, morale, spirituelle, a été et demeure un joyau à conserver pour les uns et une barrière à abattre pour les autres. Accolée à l’entreprise, la transmission rejoint les considérations et controverses économiques : à l’objectif de stabilité du capital des PME et ETI afin d’assurer la survie du tissu économique du pays, on opposera l’objectif de lutte contre les privilèges, l’éternelle opposition de ceux qui ont face à ceux qui n’ont pas, dans des accents parfois robespierristes… Le droit fiscal n’échappe pas à cet affrontement et reflète ces débats et tiraillements.
Pourtant la seule question pertinente est simple : quel régime fiscal est le plus susceptible de créer des entrepreneurs et de générer de la richesse et des emplois ?
La fiscalité de la transmission d’entreprises, la permanence des enjeux
Cependant, si l’idée de transmission est une notion philosophique et idéologique largement débattue, nous pourrions nous attendre que s’agissant de la transmission d’entreprises, si essentielle dans la vie économique du pays, elle bénéficie d’un traitement favorable par le législateur fiscal.
La réponse est nuancée : à côté d’une fiscalité de la transmission (pas seulement d’entreprises) parmi les plus lourdes d’Europe, existe des dispositifs d’exonération et de soutien souvent difficile à mettre en œuvre. Et comme toujours avec le législateur français, formaté au dirigisme économique, beaucoup de ces dispositifs complexes sont regardés comme des niches fiscales, des dérogations à une fiscalité vue comme excessive, quand il s’agit en définitive simplement d’un système permettant d’assurer la pérennité et la stabilité de l’entreprise.
Plutôt que de pousser toutes nos PME et ETI dans les bras des spéculateurs, des fonds d’investissement, on devrait préférer un actionnariat familial stable et prudent, avec une vision longue sur les investissements à réaliser. Nous avons ici l’illustration des oppositions entre la vision court terme et celle du long terme, entre la satisfaction des raisonnements simplistes et démagogiques et la complexité du monde de l’entreprise et la vision économique à long terme. Alors les théories économistes s’affrontent dans une lutte de titan et, comme souvent le bon sens se perd dans ces débats infernaux.
Cette réalité est donc complexe, à l’image de la variété des situations que l’on veut bien recouvrir par le terme même de « transmission d’entreprise ». Une permanence toutefois, qu’il s’agisse de fonds de commerce ou de titres de sociétés (petites ou grandes), d’une cession à un tiers, d’un apport en société, d’une reprise de société en difficulté, d’une transmission au sein d’un actionnariat familial par voie de donation ou de succession, de transmission d’entreprises entre associés voire entre un dirigeant et ses salariés, c’est l’anticipation qui prime toute transmission.
Dans tous ces modes de transmission, et à côté des enjeux incontournables de la continuité opérationnelle, le coût fiscal de la transmission se pose rapidement comme condition essentielle de réalisation de l’opération. On se souvient également des efforts du législateur pour éviter qu’à chaque transmission d’entreprise, la fiscalité liée à celle-ci conduise le repreneur à « vampiriser » l’entreprise pour permettre de s’acquitter des droits et impositions, mettant en péril la survie même de l’entreprise.
D’un point de vue fiscal, deux points d’attention seront toujours auscultés : la fiscalité de l’opération de transmission et l’imposition de la plus-value révélée lors de l’opération.
Le Pacte Dutreil, pivot de la transmission des entreprises familiales
Si les enjeux fiscaux d’une cession à un tiers impliquent une ingénierie fiscale relativement bien bornée et se concentrent sur le calcul du produit de cession ou des mécanismes d’apport cession, la transmission familiale impose quant à elle une réflexion plus profonde, surtout lorsque sont mis en place des pactes Dutreil. Ces pactes sont aujourd’hui largement répandus et maîtrisés par les praticiens, et permettent d’abaisser la fiscalité de la transmission au sein de l’actionnariat familial de 75 %, dispositif exceptionnel au sein de l’architecture du droit fiscal des donations et successions. L’enjeu est de taille si l’on considère qu’une entreprise sur trois du S&P500 et 40 % des 250 plus grandes entreprises allemandes et françaises se définissent comme entreprises familiales (2).
Le pacte Dutreil ne s’applique cependant pas à toutes les situations : seules les entreprises industrielles, commerciales (au sens fiscal) ou artisanales sont visées par le dispositif d’exonération partielle, et sont exclues toutes les activités patrimoniales (citons en particulier l’activité de location nue, sauf lorsqu’elle s’accompagne de prestations ou de la fourniture d’équipements). Le dispositif nécessite également de la part de la génération qui reçoit l’entreprise un engagement de maintien de l’activité opérationnelle, globalement pendant au moins 6 ans.
En complément de ce dispositif d’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit pourront être mise en œuvre des structures de reprise, par exemple lorsqu’une partie seulement des enfants donataires souhaitent reprendre l’entreprise. Après une transmission sous pacte Dutreil, un holding de reprise auxquels pourront être apportés les titres et contractant un emprunt peut être constitué, dans le cadre d’un family buy-out, la remontée de dividendes remboursant la dette bancaire. La société transmise devra donc nécessairement dégager suffisamment de résultat. Evidemment, la mise en place ce type d’opération complexe nécessite l’intervention des hommes de l’art.
L’Allemagne : des droits de succession deux fois moins élevés qu’en France et un système de transmission d’entreprise original et compétitif
Dans ce cadre, la France est-elle l’enfer fiscal si souvent dénoncé ? L’exemple allemand révèle nos failles… et nos forces ! Si longtemps l’Allemagne a permis 85 % et jusqu’à 100 % d’exonération de droits de succession lors de transmissions d’entreprises – et on le comprend aisément au regard du poids des ETI dans le Mittelstand – la situation a changé depuis une décision de la Cour constitutionnelle allemande du 17 décembre 2014, aboutissant ainsi à une réforme en 2016 en matière de transmission successorale des actifs professionnels en Allemagne. Les abattements en ligne direct restent toutefois largement supérieurs à la pratique française (4 fois plus en succession parent-enfant, soit 400 000 euros au lieu de 100 000 euros en France).
Surtout, les droits de succession et de donation sont beaucoup plus faibles comme illustré dans le tableau de comparaison ci-dessous et approximativement, on peut dire que les droits de succession allemands sont au moins deux fois inférieurs à ceux appliqués en France ! A des fins d’illustration, nous nous sommes risqués à faire un tableau consolidé de comparaison des droits de succession, et les résultats font frémir :
La question qui se pose immédiatement est celle de savoir comment la France et l’économie française peuvent rester compétitives avec une telle taxation du capital ?
Il faudrait sans doute rétablirun équilibre avec une forme d’harmonisation européenne et mondiale de ces questions et leur traitement idéologique doit céder la place à une analyse économique et surtout concurrentielle. Aucune loi fiscale ne devrait se passer d’une analyse a priori de ce que font les pays limitrophes, au risque de précipiter le déclin de l’économie française et la fuite de ses entrepreneurs.
Depuis la réforme allemande de 2016, concernant les droits de succession, leur exonération de 85 % demeure jusqu’au seuil de 26 millions d’euros, sous réserve que le bénéficiaire conserve les actifs reçus durant 5 années, et que l’effectif salarié soit maintenu. L’exonération totale perdure avec un engagement de conservation de 7 ans, mais au-dessus du seuil de 26 millions d’euros, le pourcentage décroît progressivement et disparaît totalement au-dessus de 90 millions d’euros, mais avec un taux marginal d’imposition uniquement de 30 %, là où le taux français culmine à 45 % !
Le législateur allemand a prévu également des dispositifs d’assouplissement (abattement de 30 % pour certaines entreprises, sous conditions, parmi lesquelles des restrictions concernant les distributions et la cession de titres, pendant 2 à 20 ans).
Ainsi, la France avec son régime Dutreil reste compétitive, par rapport à l’Allemagne, surtout pour la transmission des grands groupes, même si des efforts pourraient être fait en la matière. En effet, dès que l’on sort du régime Dutreil, la taxation des transmissions d’entreprise et environ deux fois plus élevée en France qu’en Allemagne, ce qui détériore sérieusement le tissu économique, sans raison économique véritable.
Dans un monde où la guerre économique est exacerbée, il ne faut pas taxer les armes de ceux qui partent à la conquête du monde ! Tout ceci plaide pour une exonération totale des droits de succession lors de la transmission d’entreprise, ce qui incitera tous les acteurs économiques à céder leur patrimoine immobilier pour aller vers l’entreprenariat, la création de valeur d’emplois ! Voilà un beau projet que la crise sanitaire actuelle de la Covid-19 pourrait justifier afin de recréer rapidement une activité économique, durablement ralentie par le contexte actuel. Ce serait faire le pari, non pas de l’opposition des riches et des pauvres mais de l’intérêt pour la France d’avoir du capital au service de l’économie et l’emploi et donc des plus démunis.
Que font les autres pays européens ?
Dans les pays limitrophes, les droits de succession sont également très réduits en comparaison avec la France.
En Belgique, il existe des différences régionales entre la Wallonie, Bruxelles et la Flandre et la taxation en ligne directe varie de 3 à 30%. Il convient de relever que la résidence principale du défunt est exonérée de droits de succession, ce qui conduit à un abattement de facto relativement important.
Le régime des successions en Italie fait rêver et est sans doute l’un des plus intéressants au niveau européen. Il se caractérise par un abattement de 1 million € pour le conjoint et les enfants. Les frères et sœurs bénéficient d’un abattement de 100 000 €) et ces différents abattements s’appliquent par personne ! Madre mia !!
Au-delà de 1 M€, les conjoints et enfants sont taxés à hauteur de 4 %. Pour les autres membres de la famille, les droits de succession sont généralement de 6 % et pour les autres personnes de 8% !!
Un petit coup d’oeuil sur le Portugal pour rester sur les hauts-plateaux de la douceur fiscale. Dans ce pays grands conquérants des mers, les successions en ligne directe sont totalement exonérées. Pour les autres succession le taux est uniquement de 10%.
Au Royaume-Uni, le patrimoine peut-être totalement exonéré si des donations sont faites au moins plus de 7 ans avant le décès.
Le verdict est sans appel : carton rouge pour la France, notre système fiscal est tout simple hors-jeu !
Il serait temps d’en prendre conscience et d’avoir le courage de créer ce nouveau débat politique qui mette en valeur l’intérêt d’une transmission des entreprises en exonération totale de droits de succession suivant un système simple, à condition que les entreprises ainsi transmises s’engagent pour l’emploi et l’activité en France : voilà un nouveau pacte social exigeant qui défendra véritablement l’intérêt général à long terme.
Jacques-Henry de Bourmont, Avocat à la Cour, associé Jeantet, Roch Baeza, Avocat à la Cour, Jeantet.
(1) Lire à titre d’illustration de ce débat la tribune de Maître Gentilhomme, notaire et membre du Cercle des fiscalistes, l’Opinion du 26 mars 2021, et celle en réponse de la député PS Christine Pires-Beaune, L’Opinion du 7 avril 2021.
(2) Ch. Caspar, A. Karina Dias et H.-P. Elstrodt, Ces firmes familiales qui défient le temps : L’Expansion Management Review 2010/2, n° 137, p. 85 à 92 ; www-cairn-info-s.proxy.bu.dauphine.fr/revue-l-expansion-management-review-2010-2-page-85.htm., cité in Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire n° 171, Mai 2020, dossier 3
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