Système politique : le fossé démocratique se creuse
Comme en témoigne l’abstention record aux deux tours du scrutin, les 20 et 27 juin, la forte défiance à l’égard des représentants politiques constitue un avertissement. Aucun parti, aucun mouvement ne pourra faire l’économie de réconcilier les Français avec la politique.
Editorial du « Monde ».
A l’issue du second tour des élections régionales et départementales, qui s’est tenu dimanche 27 juin, le même constat inquiétant qu’au premier tour domine : les Français ont pratiqué la grève des urnes dans des proportions inédites. Qui plus est, ils l’ont fait en toute connaissance de cause. Comme lors du premier tour, qui s’était déroulé une semaine plus tôt, deux électeurs sur trois ont trouvé beaucoup d’autres choses à faire plutôt que d’aller déposer un bulletin dans leur bureau de vote. Ils avaient pourtant été, ces derniers jours, morigénés ou appelés au secours par des états-majors unanimement secoués par l’ampleur du retrait démocratique.
Rien n’y a fait, et ce qui s’était esquissé le 20 juin s’est confirmé le 27 : forts d’une visibilité plus importante que les autres candidats, les présidents de région sortants ont tous été réélus sur le territoire métropolitain, donnant à la carte de France les mêmes couleurs rose et bleue qu’il y a huit jours. La droite conserve sept régions, la gauche cinq, une aubaine pour les « vieux » partis, qui luttent depuis 2017 pour leur survie et ont infligé au Rassemblement national comme à La République en marche une sévère déconvenue.
Cette apparente stabilité de la France locale cache en réalité un séisme. Car, quelles que soient les raisons de l’abstention – mécontentement à l’égard de l’offre politique ou manque d’intérêt pour un scrutin perçu comme insignifiant –, c’est en réalité le fonctionnement de la vie locale, censée répondre au besoin de proximité, qui est interrogé. Redessinées en 2015 autour des métropoles, les grandes régions sont peut-être mieux adaptées aux enjeux du développement économique que les anciennes, mais leur taille a contribué à éloigner le citoyen des élus. Le fonctionnement des assemblées régionales reste opaque et peu adapté à la demande de participation citoyenne sur des sujets qui touchent pourtant de près à la vie quotidienne, au premier rang desquels les transports.
La nationalisation de la campagne, essentiellement axée sur les questions de sécurité, en raison de la surenchère à laquelle se sont livrées la droite et l’extrême droite, a achevé de décourager l’électeur. Si une leçon est à retenir de ces deux tours, c’est le fossé gigantesque qui, en six ans, s’est creusé entre les électeurs, notamment les plus jeunes, et leurs représentants, alors que les régions espéraient au contraire avoir accru leur visibilité lors de la gestion de la pandémie.
Le séisme démocratique qui vient de s’y produire n’est pas forcément transposable à l’élection présidentielle. Considéré comme l’élection reine de la Ve République, ce rendez-vous mobilise en général beaucoup plus que les scrutins locaux. Mais, pour les parties en présence, la persistance d’une forte défiance à l’égard des représentants politiques constitue un avertissement. La gauche et surtout la droite ont beau rêver d’un retour dans le jeu, la faiblesse de leur projet et l’absence d’une procédure actée de départage entre ses prétendants les maintiennent pour le moment dans une situation de grande vulnérabilité.
Marine Le Pen, qui prétendait incarner le changement, doit comprendre pourquoi ses électeurs ont déserté, alors qu’elle leur faisait miroiter le gain de plusieurs régions. Emmanuel Macron ne peut, quant à lui, que s’inquiéter de la dichotomie entre sa gestion de la pandémie, approuvée dans les sondages, et l’extrême faiblesse des forces politiques censées soutenir et relayer son action. Réconcilier les Français avec la politique est devenu pour tous une ardente obligation.
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