Investissement :Après le SPAC, la démocratisation avec le SPARC
Par Virna Rizzo, avocat, Jordan Le Gallo, avocat, cabinet Cohen Amir-Aslani dans la Tribune
Tribune
Un accord qui en cache d’autres. Le 20 juin courant, Vivendi et Pershing Square Tontine Holdings (PSTH), le SPAC créé en juillet 2020 par Bill Ackman, ont annoncé avoir signé un accord, dont les termes ont été dévoilés le 23 juin, tendant à la cession par Vivendi de 10% du capital social de la maison de disques Universal Music Group (UMG) en faveur de PSTH, sur une valorisation de la société de 40 milliards de dollars.
Cet accord intervient peu de temps après l’annonce par Bill Ackman, le milliardaire CEO du fonds Pershing Square Capital Management, de la création d’un « SPARC », Special purpose acquisition rights company.
Avec ce nouveau véhicule, Bill Ackman remanie les cartes de l’investissement qui tend vers une plus grande démocratisation du processus d’introduction en bourse en palliant les deux contraintes principales liées au SPAC : (i) une levée de fonds ab initio qui reste séquestrée dans le véhicule coté en bourse le temps de procéder au De-SPAC-ing (première acquisition), et (ii) le coût afférent aux commissions de souscription.
Retour sur une structuration complexe
Dès la rédaction du prospectus lors de l’introduction en bourse de son SPAC, Bill Ackman avait anticipé la création de ce nouveau véhicule d’investissement, le SPARC. Or, on peut supposer que (i) l’opportunité liée à UMG et (ii) les conditions de marché tendant à la diminution du cours de bourse de PSTH ont accéléré le processus de création dudit SPARC.
PSTH entend acquérir 10% du capital social d’UMG au plus tard le 15 septembre 2021. Toutefois, cette acquisition est soumise à l’accord des actionnaires de PSTH qui, conformément aux règles du SPAC, ont un droit de retrait qui pourrait entrainer la chute du SPAC. Dès lors, afin de fédérer ses actionnaires, Bill Ackman a prévu plusieurs mécanismes :
-Premièrement, une distribution : le 22 juin courant, Vivendi a sollicité ses actionnaires afin de proposer « la distribution de 60 % d’Universal Music Group aux actionnaires de Vivendi et la cotation de la société sur le marché d’Euronext Amsterdam dans les dix derniers jours de septembre »[1]. Une fois la cotation d’UMG accomplie et PSTH n’ayant pas pour vocation d’être actionnaire minoritaire d’une société cotée, cette dernière va proposer de distribuer les actions d’UMG à ses actionnaires dès lors qu’elle aura obtenu l’accord de la Securities and Exchange Commission, pour un montant d’environ 14,75 dollars par action ;
Deuxièmement, un maintien de leur qualité d’actionnaire dans PSTH : A l’issue de cette distribution, les actionnaires de PSTH vont rester propriétaires des titres qu’ils détiennent dans le SPAC moyennant une valeur nominale unitaire plus faible, à savoir environ 5,25 dollars. Grâce aux disponibilités restantes d’environ 1,5 milliard de dollars combiné à un droit pour Pershing Square (le fondateur) de souscrire pour 1,4 milliard de dollars d’actions de Classe A de PSTH, ce dernier (PSTH Remainco) va, on l’imagine, pouvoir poursuivre son activité de SPAC, à savoir trouver et acquérir une société cible d’ici mi-2022, conformément à la règlementation qui l’oblige. « On l’imagine », car il existe un risque résiduel mais présent que le NYSE retire à PSTH son statut de SPAC. En effet, le principe du SPAC tel que développé par PSTH dans son prospectus voulait qu’elle acquière une société et qu’elle fusionne avec afin de faciliter l’introduction en bourse de la cible. Or, ce n’est pas ce qui se passe avec UMG ; le SPAC n’acquière que 10% du capital social et des droits de vote de cette dernière. Dès lors, le NYSE va-t-il laisser passer ou va-t-il retirer à PSTH son statut ? En cas de perte de statut du SPAC, deux scénarios seraient envisageables : soit le délai de 2 ans accordé aux fondateurs pour réaliser le De-SPAC-ing est écourté et ramené au 15 septembre 2021, jour théorique de l’acquisition des titres d’UMG ce qui obligerait le SPAC à rembourser l’ensemble de ses investisseurs, l’empêchant ainsi de conclure le deal, soit ce délai de protection des investisseurs est supprimé et ces derniers se retrouvent considérés alors comme simples actionnaires d’une société cotée avec la possibilité de revendre leurs titres sur le marché dès cette date.
Troisièmement, la souscription de BSA : Finalisant sa mission de rassurer ses investisseurs, la signature de l’accord avec Vivendi va initier l’émission par Pershing Square SPARC Holdings, nouvelle société de Bill Ackman, de bons de souscription d’actions (BSA) aux actionnaires de PSTH pour un montant de 20 dollars par action. Ces BSA pourront être exercés lorsque le SPARC aura conclu un accord définitif avec les sociétés dans lesquelles il va décider d’investir. Les investisseurs auront donc le choix d’activer ou non leur(s) bon(s) de souscription et d’acquérir des titres de Pershing Square SPARC Holdings. La souscription à l’ensemble des BSA entrainerait, pour le SPARC, une puissance d’investissement d’environ 10,6 milliards de dollars tout en n’étant pas limité à la durée de 2 ans afférente aux SPACs.
Ainsi, les investisseurs du SPAC sont rassurés et vont sûrement poursuivre leur aventure aux côtés de Bill Ackman.
Vers une plus grande démocratisation de l’investissement grâce au SPARC ?
Pour rappel, le SPAC est un pari sur l’avenir. Les investisseurs donnent (presque) un chèque en blanc aux fondateurs qui ont deux ans pour procéder au De-SPAC-ing (première acquisition). Evidemment, en cas de désaccord sur la première acquisition ou en l’absence de société cible identifiée dans le délai sus-évoqué, les investisseurs ont la faculté de demander le rachat de leurs actions au prix de l’introduction en bourse.[2]
Ainsi, le SPARC propose une vision différente. Avant même l’introduction en bourse, les fondateurs ont déjà identifié une ou plusieurs société(s) cible(s) dans lesquelles ils souhaitent investir, ceci ayant d’ores et déjà l’intérêt d’éviter le risque d’investisseurs réfractaires lors du De-SPAC-ing puisqu’ils investissent en toute connaissance de cause.
Dans les faits, une fois la structure du SPARC constituée et dès lors qu’une lettre d’intention a été conclue avec la société cible, le SPARC émet gratuitement (ou non) des BSA dans l’espoir d’une négociation sur un marché réglementé. Ces BSA donnent le droit de souscrire à des actions du SPARC une fois que le rapprochement aboutit, c’est-à-dire une fois qu’un accord définitif a été conclu. Autrement dit, le SPARC présente un double avantage : (i) les investisseurs du SPARC n’ont pas à immobiliser leur investissement dès l’introduction en bourse et pendant une durée maximum de deux années, et (ii) les fondateurs ne sont pas soumis à cette pression des deux ans pour trouver une société cible ce qui entraine parfois, lorsque la date limite se rapproche, une réduction du levier de négociation.
Ainsi, à bien des égards, la structure SPARC est plus favorable aux investisseurs que le SPAC.
Dans le monde du SPAC aux Etats-Unis, qui est en plein désordre, la tontine de Pershing Square est une bouffée d’air frais. La structure SPARC a le potentiel de démocratiser véritablement le processus d’introduction en bourse. Bien que le marché ait réagi défavorablement à l’opération « Universal Music Group », ce n’est qu’une question de temps avant que le marché ne réalise les avantages de l’excellente opération, bien que complexe, du SPARC.
Sachant que les SPACs existent depuis vingt ans aux Etats-Unis et qu’ils ne commencent à apparaitre réellement en France que cette année, devra-t-on attendre 2041 pour votre apparaitre des SPARCs sur Euronext Paris ?
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[1] https://www.vivendi.com/communique/vivendi-signe-un-accord-avec-pershing-square-tontine-holdings-ltd-pour-la-cession-de-10-du-capital-dumg/
[2] Pour plus de détails sur le fonctionnement du SPAC : https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/il-est-urgent-d-accueillir-des-spac-s-a-la-bourse-de-paris-882311.html
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