Pour la fin de Davos ?
Dans le JDD Felix Marquardt, cofondateur de Black Elephant et écrivain, revient sur ses années passées au Forum économique de Davos. Il fait l’analogie entre l’addiction à la drogue et à la croissance, et appelle à ne pas retourner à Davos en 2022.
Une sorte de cri pour dénoncer le manque d’articulation entre préoccupations environnementales et préoccupations économiques. Pour autant l’auteur dénonce davantage qu’il ne propose. Beaucoup de généralités dans le constat mais rien de vraiment pertinent pour construire une transition énergétique. Bref surtout une réflexion de bobo. Ce n’est pas la suppression de Davos qui fera beaucoup à avancer la problématique. Quant au lien avec la culture woke, elle paraît tirée par les cheveux (NDLR)
La tribune :
« La réunion du grand chambard alpin des grands de ce monde n’aura pas lieu en 2021. Le Forum économique mondial vient d’annoncer l’annulation des rencontres prévues en août à Singapour en lieu et place de sa réunion annuelle en janvier et d’un sommet exceptionnel prévu à Lucerne en mai. Les raisons invoquées pour cette troisième annulation et ce qui est présenté comme un sage et serein report à 2022 sont d’ordre logistique et technique, liées au contexte sanitaire et aux restrictions imposés par la pandémie. La réalité est plus cruelle : Davos, qui s’affaisse depuis des années sous le poids de ses contradictions, est en bout de course.
Pendant une décennie, j’ai arpenté les allées enneigées au pied de la Montagne magique aux côtés de grands de ce monde. Pendant un quart de siècle, j’ai aussi consommé une quantité prodigieuse de drogues. Une accoutumance de plus en plus sévère au cannabis et à l’alcool fut éventuellement parachevée par une descente brutale dans l’addiction à la cocaïne et à la méthamphétamine. Dans la trajectoire qui est la mienne, l’apogée de mes élucubrations à Davos et celle de ma carrière de drogué coïncident.
Des années durant, je vécus dans le déni. Je ne pouvais pas être un drogué. Les drogués, c’étaient ceux qui fumaient du crack ou se piquaient à l’héroïne aux alentours de la station Stalingrad ou de la gare de Saint Denis. Je parcourais le monde en classe affaires, passant le plus clair de mon temps dans d’augustes appartements, des palais présidentiels et des palaces. Lorsque je finis par atterrir en cure de désintoxication, le déni céda la place à une sorte de fierté mal placée : j’avais été un drogué fort fonctionnel pour avoir été ainsi capable de donner le change et de travailler pour tout ce beau monde tout en étant complètement intoxiqué le plus clair du temps.
Avec le bénéfice de quelques années en rétablissement (cela fait maintenant plus de sept ans que je n’ai pas bu un verre ni consommé de drogue), il m’apparut que la réalité était tout autre : ce n’est pas en dépit de mon addiction que je m’épanouis jadis dans les cercles du pouvoir mais bien grâce à elle. Les griseries de la proximité du pouvoir, de l’égo, de la luxure et des jours fastes n’étaient pas fondamentalement différentes de celles que me procurait la consommation des substances sus-cités.
Au même moment où ce qui devint Davos voyait le jour, un groupe de scientifiques du Massachussetts Institute of Technology mené par Dennis et Donatella Meadows jetait un pavé dans la marre: celle selon laquelle la croissance économique pouvait être réellement durable et soutenable dans un monde fini.
Nous avons un problème de croissance écocide
Cinquante ans plus tard, alors que de multiples études montrent que le niveau des inégalités au sein des pays et entre eux, déjà dramatique avant la pandémie, a été fortement accentué par cette dernière et que 50% des émissions de gaz à effet de serre sont produites par les 10% d’êtres humains les plus riches (ceux dont les revenus égalaient ou dépassaient, non pas des millions, mais 38.000 dollars en 2015), quelles furent donc les principales conclusions du prestigieux cénacle alpin en 2020? Que nous avons un problème de croissance écocide.
Pour ceux que pareille inertie consterne, le prisme de l’addiction se révèle fort utile pour en comprendre la cause. La dépendance se caractérise notamment par le déni et l’immaturité. Le moment est venu de poser la question : se pourrait-il que nous soyons devenus « accros » à la croissance, au carbone, à l’énergie et l’extraction? Et si c’est le cas, n’est-il pas temps de reconnaître qu’attendre d’une institution qui depuis un demi-siècle perçoit des centaines de millions d’euros d’entreprises dont les actionnaires ne souhaitent pas qu’on ait une conversation difficile sur la croissance, c’est un peu comme attendre d’un héroïnomane disposant de la meilleure came de la place qu’il nous aide à nous rétablir de notre toxicomanie.
La crise existentielle dans laquelle la pandémie plonge notre civilisation met à nu certaine réalités fondamentales. En dépit de toutes nos bonnes intentions, pour l’heure, nous ne savons pas décorréler croissance économique et consommation énergétique. La formule « croissance verte » relève pour le moment de l’oxymore. Ce qui existe aujourd’hui est au mieux un système mondial de vases communicants énergétiques.
Dans ce contexte, notre tendance à nier la complexité du monde en prétendant que des phénomènes étroitement liés et imbriqués tels que changement climatique, inégalités, extraction et colonialité (le rapport moderne de domination entre êtres humains et entre ceux-ci et le reste de l’écosphère dont l’ère coloniale ne fut que le prélude) sont distincts relève d’une culture adolescente voire puérile que nous ne pouvons plus nous permettre.
Qu’ils soient économiques ou politiques, les grands dirigeants sont aujourd’hui obnubilés par une question par-dessus toutes : comment prouver à leurs audiences respectives qu’ils ont compris que la pandémie et la cascade de crises qu’elle révèle et accentue change tout, et pour de bon. Ce n’est pas chose aisée. Ce qui est sûr, c’est qu’il existe un moyen très simple pour eux de montrer qu’ils n’ont pas compris : retourner à Davos en 2022. »
* Felix Marquardt est cofondateur de Black Elephant et écrivain. Son prochain livre, The New Nomads, paraîtra chez Simon & Schuster en anglais le 8 juillet.
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