Une contestation de la fiscalité mondiale
Pascal Salin , économiste très libéral, explique à propos de l’imposition mondiale que cette proposition d’instauration d’une taxe mondiale est absurde.Un article qui mérite d’être lu cependant qui propose une imposition des revenus et non une imposition sur les sociétés. Le seul problème qui n’est pas évoqué c’est la possibilités pour les entreprises grâce à l’ingénierie fiscale d’externaliser les profits dans les pays à faible taxation, inversement d’ internaliser les couts dans les pays à forte taxation par le biais des filiales.
Tribune dans l’Opinion
Comme on le sait, de nombreux pays dans le monde sont d’accord pour qu’on oblige tous les pays à décider un même montant minimum pour le taux des impôts sur les sociétés. Joe Biden avait proposé un taux minimum de 21 % dans tous les pays et l’OCDE avait proposé un taux minimum de 12,5 %, égal à celui de l’Irlande (qui n’est pas favorable à cet égalitarisme entre tous les pays du monde et qui souhaite probablement conserver un avantage par rapport aux autres pays grâce à son taux d’impôt plus faible). Actuellement le taux préconisé est en général égal à 15 % et c’est peut-être le taux qui sera décidé par le G20 à Venise en juillet prochain.
Or on doit considérer cette proposition d’instauration d’une taxe mondiale comme étant absurde à plusieurs points de vue. Tout d’abord on doit admettre que la concurrence a d’importantes conséquences positives. Ceci est vrai évidemment pour la concurrence entre les entreprises en ce qui concerne leurs productions, mais c’est aussi le cas pour la politique fiscale. En effet, si l’on se rend compte que la fiscalité d’un pays a de meilleures conséquences que la fiscalité d’autres pays, cela peut inciter à adopter cette fiscalité dans les autres pays. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on doit considérer que l’intégration économique concernant les pays de l’Union européenne implique que l’on doit éviter les politiques d’harmonisation – par exemple d’harmonisation fiscale – mais au contraire respecter la concurrence aussi largement que possible.
Mais en ce qui concerne la taxe mondiale il y a un aspect particulier qui est particulièrement contestable. Il s’agit en effet d’harmoniser l’impôt sur les sociétés entre un nombre aussi grand que possible de pays dans le monde. Lorsqu’on parle d’impôt sur les sociétés, on peut éventuellement en avoir plusieurs définitions. Ainsi il pourrait s’agir d’un impôt dont l’assiette fiscale est constituée par la valeur de toute la production d’une entreprise pendant une période.
Assiette fiscale. Mais on peut aussi considérer, par exemple, que la TVA constitue un impôt sur l’entreprise puisqu’elle est payée par l’entreprise et que l’assiette fiscale est constituée par la création de valeur d’une entreprise. Enfin, comme on le sait, lorsqu’on parle d’impôt sur les sociétés, on entend généralement par là qu’il s’agit en fait d’un impôt sur les bénéfices des entreprises.
Or dans tous ces cas, on devrait considérer que la notion d’impôt d’entreprise (ou d’impôt sur les sociétés) est dénuée de sens. En effet, une entreprise se définit comme un ensemble de contrats, en particulier les contrats entre les salariés et les entrepreneurs (mais aussi les contrats avec les fournisseurs et les acheteurs). Ce n’est pas un contrat qui paie un impôt, mais les signataires d’un contrat. On doit donc admettre qu’un impôt censé être payé par une entreprise est en fait payé par les signataires des contrats constitutifs de cette entreprise, en particulier les salariés et les entrepreneurs.
Lorsque l’impôt sur les sociétés a pour assiette fiscale les bénéfices des sociétés, il conviendrait de parler non pas d’impôt sur les sociétés, mais d’impôts sur les bénéfices des sociétés. Or cette assiette fiscale doit être considérée comme absurde
Il est d’ailleurs caractéristique de ce point de vue que l’on puisse démontrer que la TVA est en fait payée par les salariés et les entrepreneurs dans des proportions qui ne peuvent malheureusement pas être bien connues (1). Il en résulte que l’on ne peut pas connaître la véritable répartition de la fiscalité d’un pays entre tous ses habitants et que beaucoup d’entre eux supportent le poids d’un impôt sans en être conscients (par exemple à cause du fait que les salaires sont rendus plus faibles à cause du paiement de la TVA par les entreprises).
Enfin, lorsque l’impôt sur les sociétés a pour assiette fiscale les bénéfices des sociétés, il conviendrait de parler non pas d’impôt sur les sociétés, mais d’impôts sur les bénéfices des sociétés. Or cette assiette fiscale doit être considérée comme absurde. En effet pourquoi imposer un impôt spécifique sur les revenus des entrepreneurs, alors qu’ils devront ensuite très probablement payer un impôt sur le revenu. Ainsi les salariés ou les travailleurs indépendants sont soumis uniquement à l’impôt sur le revenu, alors que les entrepreneurs sont soumis à deux impôts (impôts sur les sociétés et impôts sur le revenu). Cette dualité fiscale est injuste et elle risque de diminuer les incitations à entreprendre, ce qui est nuisible pour tout le monde.
Dépenses publiques. Par ailleurs on peut considérer qu’il est justifié que la fiscalité d’un Etat soit plutôt payée par les résidents du pays de cet Etat parce que ce sont eux qui bénéficient éventuellement des dépenses publiques. Or le projet d’instauration d’un impôt mondial suppose que l’impôt sur les sociétés soit payé par une entreprise pas seulement dans son pays d’origine, mais éventuellement dans d’autres pays où elle a certaines activités. Mais pourquoi vouloir imposer un impôt de sociétés mondialisé à un entrepreneur qui réside dans un certain pays, mais qui possède une entreprise ayant certaines activités dans d’autres pays où il n’est pas bénéficiaire de dépenses publiques (ou seulement de manière extrêmement limitée) ?
Ce qui serait justifié ne consisterait pas à imposer un impôt de sociétés dans un pays où une société obtient certains profits, mais de se contenter des impôts sur le revenu. Ainsi, si un entrepreneur habitant dans le pays A possède une entreprise qui fait, entre autres, un profit dans un pays B, il convient seulement que l’administration fiscale du pays A puisse être informée de l’existence d’un profit dans le pays B. Pour cela, il peut être justifié que l’Etat du pays B fasse connaître à l’Etat du pays A l’existence de ce bénéfice dans son pays. Ainsi tous les Etats qui s’entendent actuellement pour décider de l’existence d’un taux minimum de l’impôt sur les sociétés devraient tout simplement s’entendre pour que les impôts sur les sociétés n’existent pas, mais qu’il existe des impôts sur le revenu dans tous ces pays, mais avec des taux différents, comme on peut le souhaiter pour qu’il y ait concurrence.
Pascal Salin est professeur d’économie honoraire de l’Université Paris-Dauphine, président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social et ancien président de la Société du Mont Pèlerin.
(1) Nous démontrons que la TVA n’est pas payée par les consommateurs – contrairement à ce que l’on croit en général – mais essentiellement par les salariés et entrepreneurs dans notre ouvrage, La tyrannie fiscale, éditions Odile Jacob, 2014
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