La fin de Françafrique ?
Le philosophe camerounais estime, dans un entretien au « Monde », que la Françafrique, désormais « onéreuse, inefficace et encombrante du point de vue moral », doit être remplacée par un nouveau modèle de relations.
Figure majeure de la pensée contemporaine, Achille Mbembe a été nommé par Emmanuel Macron pour préparer le sommet Afrique-France prévu en octobre à Montpellier. Le philosophe camerounais enseigne l’histoire et la politique à l’université Witwatersrand de Johannesburg. Dans cet entretien au Monde, il revient sur la reconnaissance des crimes coloniaux par certains pays européens.
Ces dernières années, plusieurs pays européens ont présenté leurs excuses pour des crimes perpétrés dans leurs anciennes colonies, à l’image de l’Allemagne qui vient d’admettre avoir commis un génocide en Namibie entre 1904 et 1908 contre les communautés herero et nama. Comment analysez-vous cette tendance ?
L’Europe a longtemps tardé à reconnaître qu’il y a une part d’elle-même qui vient d’ailleurs. Intégrer cette part dans son récit propre ne diminue en rien la portée et les significations de l’identité européenne. Bien au contraire, une telle reconnaissance en accroîtrait le potentiel d’universalité. Comme tout récit identitaire, le sien a une part de nuit, comme en témoignent des crimes historiques tels que l’esclavage, l’Holocauste, le colonialisme et les génocides. Cette part de nuit, elle doit l’assumer en vérité. Et il est du devoir de l’humanité de le lui rappeler constamment.
Les descendants herero et nama ont rejeté l’offre allemande de compensation (le versement de 1,1 milliard d’euros à la Namibie) car ils affirment avoir été écartés des négociations. Est-ce l’une des limites de la politique de compensation ?
Il y a là un débat éthique. Toute réparation doit-elle avoir une dimension financière ? Si oui, quel est le prix d’une vie ? Que vaut 1,1 milliard d’euros par rapport aux 70 000 morts de l’époque et à la réduction drastique d’une population (de 40 % en 1904 à 7 % aujourd’hui) ? Suggère-t-on qu’une fois ces montants versés, la faute est expiée ? Que le crime n’existe plus ? Qu’il n’y a plus aucune forme d’obligation de l’Allemagne envers la Namibie ? Derrière la compensation se pose la question de la dette de vie et du lien humain. Comment répare-t-on des liens humains qui ont été à ce point détruits ? Ce questionnement est fondamental, sinon l’addition n’en vaut pas la peine.
Cette question du lien se pose aussi dans les relations tumultueuses et violentes entre la France et les Africains qu’elle a colonisés…
Absolument. La France et ses anciennes colonies d’Afrique doivent à présent se demander s’ils veulent entretenir un lien. Si oui, de quelle sorte et sur la base de quelles valeurs partagées ? Peut-être que certains Africains ne souhaitent plus aucun lien avec la France. Mais qu’est-ce que cela veut dire au regard de la seule tâche qui vaille en ce siècle, à savoir réparer la planète et renouer avec l’ensemble du vivant ?
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