L’avenir du secteur de la santé via les assurances ?
Une interview intéressante d’un assureur qui voit l’avenir de la santé passer par les assurances privées notamment dans les pays pauvres. Pas sûr cependant que cela serve la cause de ce qui en ont le plus dramatiquement besoin.
Farid Chedid, président-fondateur de Chedid Capital, a pris la présidence d’Ascoma, groupe international de courtage en assurance en février à la suite de l’acquisition de 80 % du capital à la famille Husson, qui en conserve 20 %. Cette acquisition fait du groupe le leader du courtage en assurance et réassurance en Afrique et au Moyen-Orient. A l’occasion du soixantième anniversaire d’Ascoma en Côte d’Ivoire, le 10 juin, Farid Chedid confie ses ambitions de développement en Afrique.
La première filiale d’Ascoma a été lancée à Madagascar en 1952. Soixante-dix ans plus tard, le groupe est présent dans vingt-et-un pays en Afrique et cinq au Moyen-Orient. Ses dirigeants devraient annoncer, le 10 juin, le lancement d’une académie panafricaine à Abidjan pour la formation et la gestion des risques. Le siège ivoirien du groupe, qui compte 160 employés, sert de hub pour l’essor des activités de courtage et d’assurance au sud du Sahara.
Quelle est la croissance du marché de l’assurance en Afrique ?
La croissance annuelle du marché africain de l’assurance est comprise entre 7 % à 8 %. Elle est portée par le secteur de l’assurance santé. Ces dix dernières années, tout l’enjeu est de passer de l’assurance médicale publique à une assurance davantage tournée vers le privé. Le développement de l’assurance va permettre d’améliorer l’espérance de vie. Celle-ci est d’un peu plus de 57 ans sur le continent. Elle a besoin de progresser. Nos principaux clients sont des entreprises publiques et des sociétés privées. Nous avons développé en interne des logiciels de gestion dans le domaine de la santé. Le contrôle des frais de santé est essentiel pour les entreprises. Au-delà du marché de l’assurance, nous proposons des services en matière d’administration et de paiement des factures, ainsi que de gestion de l’absentéisme au travail afin d’améliorer la productivité des entreprises.
Le marché de la clientèle privée est-il un segment d’avenir ?
L’essentiel de l’activité est encore porté par les entreprises. Mais nous misons sur l’essor de la clientèle privée. Nous avons ouvert des agences dans les grands centres commerciaux pour toucher un public plus large en matière d’assurances santé et vie, accident, automobile, immobilier… L’Afrique est un marché très dynamique. Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire qui a connu une décennie de croissance à environ 8 % par an. Cela a permis de faire passer le taux de pauvreté de 50 % à 40 %. Une classe moyenne émerge et le pouvoir d’achat des ménages augmente. L’assurance santé et l’assurance vie sont importantes pour les ménages. Les chefs de famille préfèrent aujourd’hui contracter des assurances plutôt que de mettre de l’argent de côté pour pouvoir remédier aux imprévus en matière de santé. De plus en plus de familles épargnent, notamment en contractant des assurances vie. Cela donne au groupe Ascoma des ressources de long terme pour investir dans les infrastructures. En définitive, le secteur de l’assurance croit parallèlement à celui de l’économie africaine.
« Il faut encourager le développement des hôpitaux et des cliniques privées et favoriser l’accès à l’assurance santé »
Quel est l’impact de la crise sanitaire dans les politiques de santé en Afrique ?
Le secteur de la santé a besoin d’investissements massifs. Paradoxalement, le continent a été moins affecté par la Covid 19 que le reste du monde. Sa population est jeune (40 % de moins de quinze ans), elle est plus résistante au virus. Toutefois, l’espérance de vie reste encore faible, notamment en raison du sous-investissement dans le domaine de la santé. Il faut encourager le développement des hôpitaux et des cliniques privées et favoriser l’accès à l’assurance santé. Les bailleurs de fonds ont tendance à négliger ce secteur. La crise sanitaire devrait permettre d’y réorienter une partie des flux financiers.
La stabilité du franc CFA est-il un atout pour investir dans le domaine des assurances ?
La zone monétaire du franc CFA permet d’avoir une stabilité de change et de juguler l’inflation. Les conditions sont donc favorables au développement des activités d’assurance. Pour les groupes financiers, il est plus facile de fonctionner dans un environnement où il y a de la stabilité et de la prévisibilité. Cela nous permet aussi de proposer des services d’assurance à moindre coût, les risques étant moindres.
L’essor du numérique est-il l’occasion d’investir dans de nouveaux services ?
Nous avons beaucoup investi dans le domaine digital. Nous avons mis au point une plateforme de ressources humaines en ligne qui permet à nos clients de mieux gérer leurs équipes et leur système de santé. L’avenir des produits financiers individuels se fera sur le digital. Mais on ne peut pas aller plus vite que l’essor des infrastructures technologiques sur le continent.
« D’ici à dix ans, l’Afrique devrait représenter 50 % de nos activités. Nous sommes très présents dans l’espace francophone, mais nous attaquons aussi le marché anglophone »
Comment vous refinancez vous ?
Nous le faisons exclusivement à partir de nos fonds propres et des bénéfices générés chaque année. L’avenir du groupe s’inscrit en Afrique même si le Moyen-Orient représente encore 65 % de notre chiffre d’affaires avec nos filiales en Arabie Saoudite, au Qatar, au Liban, aux Emirats arabes unis et nos plateformes digitales aux Emirats. Notre expérience au Moyen-Orient nous permet d’appréhender les crises et les phénomènes de disruption. Nous avons appris à gérer les crises sécuritaires et politiques. L’expertise en gestion des risques et en résilience organisationnelle est même devenue une de nos spécialités. D’ici à dix ans, l’Afrique devrait représenter 50 % de nos activités. Nous sommes très présents dans l’espace francophone, mais nous attaquons aussi le marché anglophone. Après le Ghana, nous comptons nous implanter au Nigeria, au Kenya, en Ethiopie et en Tanzanie. En Afrique du nord, le marché marocain est assez mature. Il est concurrentiel. Nous aidons actuellement les groupes marocains d’assurance santé à se développer en Afrique subsaharienne. Nous projetons de nous implanter rapidement en Egypte. Le Soudan sera une extension naturelle. Les bailleurs de fonds prévoient d’y investir 50 milliards de dollars dans les prochaines années. Et, si la Libye se stabilise, il y aura aussi des opportunités à saisir.
En dehors de l’assurance santé, quelles sont vos autres sources de croissance ?
La moitié de nos activités concernent l’assurance santé. Le reste est réparti entre l’assurance dommages, les responsabilités civiles et professionnelles, les risques politiques, les risques de crédit, les polices d’assurance dans le transport comme l’aérien, la couverture des activités d’extraction minière, gazière et pétrolière. Les activités d’assurance se développent aussi dans le domaine industriel (agroalimentaire, raffinage…) et les énergies renouvelables.
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