Mali : Un pays virtuel
Selon la chercheuse Virginie Baudais, « l’Etat post-transition devra s’appuyer sur les pouvoirs locaux » pour contrer les groupes terroristes actifs dans le centre du pays.
Tribune.
Depuis trois ans, le programme Sahel-Afrique de l’Ouest du Stockholm International Peace Research Institute (Sipri) mène des enquêtes de perception auprès d’un échantillon représentatif de 1 800 ménages dans quinze cercles (120 villages) des deux régions du centre du Mali, Ségou et Mopti.
Des chercheurs maliens, qui connaissent les zones et parlent les langues locales, administrent des questionnaires auprès de populations cibles, animent des groupes de discussion et, par leur présence et leurs observations, nous « racontent » le terrain. Grâce à un financement européen, ces enquêtes visent à comprendre le fonctionnement réel de l’Etat et le quotidien des populations. Elles nous ont surtout permis de mesurer combien la situation se détériore.
Bien loin des soubresauts politiques de la capitale, les habitants du centre du Mali sont pris au piège entre la violence des groupes armés et un Etat qui, en dépit du fort soutien de la communauté internationale et de la présence d’opérations militaires internationales, est très affaibli par la corruption et la mauvaise gouvernance. L’implantation durable de groupes comme l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ou le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) représente aujourd’hui une menace vitale pour les autorités, exacerbant d’anciens conflits et affectant la cohésion sociale, avec des conséquences effroyables pour les populations civiles.
L’Etat malien est surtout un Etat urbain. Les villes concentrent la plupart des services et ressemblent à des bulles plus ou moins sécurisées au milieu de vastes zones rurales en proie à une insécurité grandissante. Plus on s’éloigne des centres urbains, plus le maillage territorial des services de base est inégal et de faible qualité.
En janvier 2021, la moitié des préfets et sous-préfets étaient absents de la région de Mopti, contre un sur trois dans la région de Ségou. Et plus l’insécurité dans la zone est importante, plus les populations manifestent leur insatisfaction envers les représentants de l’Etat : une personne interrogée sur deux a exprimé son insatisfaction envers ces acteurs dans la région de Mopti, contre un sur trois dans la région de Ségou.
Au contraire, 85,8 % des habitants interrogés disent faire confiance aux chefs de village et de quartier, 78,8 % aux chefs coutumiers et 88,1 % aux chefs religieux. Si, à cause de l’insécurité, certains maires résident dans les chefs-lieux et ne se déplacent dans leurs communes et villages que le jour de la foire, ils bénéficient tout de même de la confiance des ménages à 61,9 % (contre 10,4 % qui disent ne pas leur faire confiance). Par contre, les sondés ne sont que 16,4 % à prêter foi aux députés et aux partis politiques et 26,8 % aux juges et magistrats.
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