Modernisation de l’administration : la suppression de l’ENA ne suffit pas
La suppression de l’Ecole nationale d’administration n’aura de sens que si de profonds changements sont opérés afin, notamment, de décloisonner la haute administration, juge Pierre-Louis Rémy, inspecteur des affaires sociales, dans une tribune au « Monde »
En annonçant la suppression de l’Ecole nationale d’administration (ENA) [le 8 avril], le président de la République a exprimé deux intentions profondément pertinentes : d’abord le souhait de rapprocher la haute administration du « terrain ».
Aujourd’hui, en effet, les postes proposés à la sortie de l’ENA sont tous situés à Paris, en dehors de ceux de la préfectorale et de la diplomatie. Et bon nombre d’anciens élèves ne quittent jamais la capitale durant toute leur carrière.
Ensuite, et c’est fondamental, Emmanuel Macron a souligné la nécessité de mieux permettre à l’Etat de remplir ses fonctions prioritaires, en premier lieu la protection des citoyens.
Il est en effet paradoxal de constater que, depuis toujours, les ministères dits « sociaux », la santé, les solidarités, le travail, l’éducation sont délaissés par les élèves de l’ENA, étant choisis, sauf exception, par les moins bien classés, qui pour une part n’ont de cesse d’essayer d’en partir.
La priorité est donnée aux fonctions financières, en premier lieu l’inspection des finances, et aux deux corps de magistrats, Conseil d’Etat et Cour des comptes, dont les membres essaiment ensuite dans l’ensemble des plus hautes fonctions de l’Etat et dans les entreprises privées.
Rente tirée du rang de sortie
L’inspection générale des affaires sociales, seule inspection avec celle des finances à recruter dès la sortie de l’école, apporte une légère correction à cette domination. En définitive, l’ENA est une machine à classer, la rente tirée du rang de sortie valant presque jusqu’à la retraite.
A l’initiative de la délégation des élèves, ma promotion, il y a près de cinquante ans, avait essayé de faire bouger cet enchaînement néfaste. En s’appuyant sur une grève des épreuves, seul mécanisme propre à gripper la mécanique bien huilée du classement, elle avait obtenu, avec le soutien du directeur de l’école de l’époque, Pierre Racine, et malgré l’opposition farouche du directeur général de la fonction publique d’alors, Michel Massenet, des possibilités d’affectation directe en province en dehors de la préfectorale et quelques initiatives propres à valoriser les postes dans les ministères sociaux.
Cette timide brèche, ouverte en 1972-1973, n’a eu aucune suite, aucune promotion ne reprenant le flambeau de ce combat.
Mais pour atteindre les deux objectifs affichés par le président de la République, il faut bien plus que la suppression de l’ENA.
Deux changements ont été avancés par le chef de l’Etat, qui seront décisifs s’ils sont vraiment menés à leur terme : le décloisonnement de la haute administration et son corollaire, la mise en place d’une véritable gestion interministérielle des hauts fonctionnaires.