Economie-Les principes des flux tendus dans l’économie remis en cause
Economie-Les principes des flux tendus ( limitant drastiquement les stocks) sont aujourd’hui remis en cause dans l’économie d’après un article de journal du Wall Street Journal
A Tokyo, Toyota accumule les pièces détachées et possède, pour certaines, jusqu’à quatre mois d’avance. Volkswagen construit six usines pour fabriquer ses propres batteries. Et, marchant dans les pas d’Henry Ford, Tesla essaie de garantir son accès aux matières premières.
Symbolisée par le fameux « juste-à-temps », l’hyperefficacité de la chaîne logistique automobile connaît actuellement un bouleversement amplifié par une pandémie qui a remis en cause plus d’un demi-siècle d’organisation. Après avoir subi des fluctuations brutales de la demande, les caprices de la météo et une série d’accidents, les constructeurs finissent en effet par se dire qu’ils n’auront peut-être pas toujours les pièces détachées qu’ils veulent au moment où ils les veulent.
« Le modèle du juste-à-temps est conçu pour favoriser l’efficacité de la chaîne logistique et les économies d’échelle, explique Ashwani Gupta, directeur des opérations de Nissan. Les répercussions d’une crise aussi inédite que celle de la Covid-19 soulignent la fragilité de ce modèle. »
Le concept du « juste-à-temps » est simple : éviter de perdre du temps. En demandant aux fournisseurs de livrer les pièces détachées sur les chaînes de montage quelques jours ou quelques heures avant qu’elles ne soient assemblées, les constructeurs ne paient que ce qu’ils consomment
Prenons l’exemple du pick-up F-150 de Ford : la dernière version du véhicule le plus vendu des Etats-Unis est bourrée de technologie, motorisation hybride et logiciel de conduite autonome à la Tesla inclus.
Quand la vaccination a commencé de porter ses fruits, les Américains se sont rués sur le modèle : 200 000 unités vendues au premier trimestre, un record depuis treize ans. Mais les stocks étaient vides car les usines ont été fermées ou ont tourné à capacité réduite tout le mois d’avril. L’activité devrait rester faible au moins jusqu’à mi-mai. Pour le constructeur, ce sont 2,5 milliards de dollars de bénéfices avant impôt qui se sont envolés.
Le concept du « juste-à-temps » est simple : éviter de perdre du temps. En demandant aux fournisseurs de livrer les pièces détachées sur les chaînes de montage quelques jours ou quelques heures avant qu’elles ne soient assemblées, les constructeurs ne paient que ce qu’ils consomment. Et économisent en frais de stockage et en personnel.
Mais avec la mondialisation des chaînes logistiques et la dépendance croissante des constructeurs vis-à-vis de certains sous-traitants, le système s’est fragilisé et les crises sont devenues plus fréquentes.
Tempête de neige géante
Mi-février, à cause d’une tempête de neige géante, une usine qui fabrique 85 % de la résine produite aux Etats-Unis a dû fermer ses portes. Des pare-chocs aux volants, en passant par la mousse des sièges, cette matière est utilisée dans d’innombrables pièces détachées pas forcément coûteuses, mais indispensables (les concessionnaires ayant du mal à vendre des voitures sans siège).
Fin mars, Toyota a été contraint de fermer plusieurs de ses usines américaines en raison d’une pénurie de résine, selon un planning auquel le Wall Street Journal a eu accès, pénalisant la production de certains de ses best-sellers, dont le RAV-4.
De la résine a parfois été acheminée par avion depuis l’Europe, raconte Sheldon Klein, avocat au sein du cabinet Butzel Long qui conseille des fournisseurs. « Economiquement, c’est catastrophique, souligne-t-il. Le mieux qu’ils puissent espérer, ce sont d’âpres négociations avec les clients pour voir s’ils peuvent assumer une partie des coûts. »
Pourtant, pas question de renoncer totalement au juste-à-temps, soulignent des dirigeants, car la méthode permet de réaliser des économies colossales. L’idée serait plutôt de l’assouplir, en se concentrant sur les aspects les plus fragiles. Les constructeurs songent par exemple à stocker davantage de pièces détachées essentielles, notamment quand elles sont à la fois petites, peu coûteuses et irremplaçables, comme les semi-conducteurs.
L’adoption progressive des véhicules électriques, très gourmands en composants sujets aux pénuries (les batteries lithium-ion et les semi-conducteurs notamment) accroît la pression en forçant les constructeurs à repenser un demi-siècle d’histoire de l’automobile.
Jim Farley, directeur général de Ford, a déclaré la semaine dernière qu’il voulait augmenter les stocks du constructeur. « La plupart des autres secteurs possèdent des stocks de précaution pour les composants essentiels tels que les puces, a-t-il expliqué lors d’un événement organisé par Automotive News. Bien souvent, ces puces sont payées à l’avance, des années et des années avant qu’elles ne soient utilisées. »
Malgré trois décennies dans l’automobile, le dirigeant n’était pas prêt pour la pandémie. « Je suis sidéré de voir tout ce que j’ai appris sur la chaîne logistique », résume-t-il.
L’adoption progressive des véhicules électriques, très gourmands en composants sujets aux pénuries (les batteries lithium-ion et les semi-conducteurs notamment) accroît la pression en forçant les constructeurs à repenser un demi-siècle d’histoire de l’automobile.
General Motors et son partenaire LG Chem ont ainsi décidé d’investir 2,3 milliards de dollars dans la construction d’une usine dans l’Ohio et cherchent un site pour en bâtir une deuxième. L’objectif : produire chaque année assez de batteries pour plusieurs centaines de milliers de véhicules. Volkswagen estime qu’il commandera, d’ici 2030, pour 14 milliards de dollars de batteries en plus de celles qui seront fabriquées dans les six usines qu’il prévoit de construire avec des partenaires.
Les constructeurs automobiles s’inspirent donc désormais de Tesla, qui s’était lui-même inspiré des pratiques de la Silicon Valley (le groupe d’Elon Musk a bâti une immense usine dans le désert du Nevada, la Gigafactory, en association avec Panasonic).
Mais tous les problèmes logistiques ne sont pas liés à l’approvisionnement en batteries. Même dans les plus futuristes des véhicules électriques, il faudra du plastique pour les tapis, du caoutchouc pour les pneus et du cuir ou du tissu pour les sièges.
Tesla essaie d’ailleurs de recenser les matériaux stratégiques et leurs producteurs, une mission réservée aux fournisseurs dans le modèle du juste-à-temps. En septembre, le groupe a signé un accord lui permettant d’accéder à une mine de lithium en construction en Caroline du Nord.
L’offensive Tesla
L’an passé, Elon Musk a déclaré qu’il voulait que Tesla achète aussi du nickel. « Tesla est prêt à signer un contrat colossal et pérenne si vous savez extraire du nickel de façon efficace et non nocive pour l’environnement », a affirmé le patron du constructeur.
L’offensive d’Elon Musk dans les matières premières n’est pas sans rappeler la démarche d’Henry Ford qui, il y a un siècle, avait révolutionné la production automobile.
Dans les années 1920, Ford visait l’intégration verticale, c’est-à-dire la maîtrise de tout ce qu’il faut pour produire une voiture. Son usine de Rouge River, dans le Michigan, fabriquait des voitures avec l’acier produit sur place à partir du minerai de fer extrait des mines Ford.
A la mort du grand patron, Ford a vendu ses docks et ses aciéries. Les constructeurs en étaient alors convaincus : il valait mieux laisser les spécialistes de l’acier, du caoutchouc et du transport gérer ces aspects. Pour eux, fabriquer un véhicule, c’était avant tout acheter les bonnes pièces détachées et les assembler.
Toyota est alors devenu le nouveau Ford. En 1950, Taiichi Ohno, l’un de ses dirigeants, a visité un supermarché américain et s’est extasié devant les rayons, re-remplis au fur et à mesure qu’ils se vidaient, raconte Jeffrey Liker dans son livre Le modèle Toyota. Les consommateurs étaient heureux même si les stocks du supermarché n’étaient pas pléthoriques. Cette organisation était l’exact inverse des entrepôts des constructeurs, remplis du sol au plafond de feuilles de métal et de pneus pour que l’usine ne soit jamais contrainte à l’arrêt.
Si les supermarchés n’avaient pas des mois de bananes d’avance, c’est tout simplement parce que c’était impossible. Pourtant, selon Taiichi Ohno, leur organisation permettait de réduire les déchets et les coûts. La décision était prise : Toyota ne paierait que les pièces dont il avait besoin pour une journée de production, ce qui lui permettrait de fonctionner avec des usines et des entrepôts de taille plus réduite.
C’est ainsi qu’est né le système du juste-à-temps. Chaque jour, une longue file de camions arrivaient devant les usines Toyota pour livrer de quoi les faire fonctionner pendant une journée.
Les franchises d’Apple et McDonald ou les supermarchés Target fonctionnent eux aussi sur ce modèle de stocks limités
Pour le constructeur japonais, entouré par une myriade de « keiretsu » (des fournisseurs locaux), les choses ont été faciles à mettre en place. Ses concurrents américains se sont d’abord montrés sceptiques, mais le système s’est révélé tellement efficace que, de Detroit à Wolfsburg, le petit monde de l’automobile l’a adopté. Imitant Toyota, Ford a lancé le Ford Production System. Les sous-traitants n’ont pas tardé à leur emboîter le pas, et le mouvement s’est propagé à tous les étages de la pyramide.
Puis à d’autres secteurs : les franchises d’Apple et McDonald ou les supermarchés Target fonctionnent eux aussi sur ce modèle de stocks limités.
Les constructeurs ont également eu l’idée d’avoir recours à un seul fournisseur pour plusieurs pièces détachées. Ces fournisseurs pouvaient orchestrer le ballet quotidien des livraisons, réduire les coûts grâce aux volumes et approvisionner le réseau mondial d’usine des grands groupes automobiles.
Carlos Tavares, directeur général de Stellantis (l’entité née de la fusion de PSA et Chrysler), a déclaré en mars dans un entretien que le groupe achetait environ 400 000 pièces détachées pour la centaine de modèles des marques Chrysler, Ram, Fiat, Peugeot et autres. Selon lui, 95 % de ces pièces proviennent d’une seule et même source.
« C’est la norme dans le secteur automobile », a-t-il expliqué.
Des événements (les attentats du 11 septembre par exemple) ont ponctuellement perturbé le système, mais sans aller jusqu’à le remettre en cause puisque les gains restaient colossaux.
C’est avec la crise financière que le vent a commencé de tourner. Une cinquantaine de fournisseurs de pièces détachées ont mis la clé sous la porte, prenant les constructeurs au dépourvu. Quand Visteon, qui fabriquait notamment des systèmes de climatisation et des autoradios, s’est déclaré en faillite, la panique s’est emparée des usines des constructeurs.
Mais c’est un autre choc qui a poussé l’entreprise chez qui le juste-à-temps était né à se poser des questions. En 2011, le séisme qui a frappé le nord du Japon a provoqué des dégâts chez plusieurs sous-traitants de Toyota, dont Renesas Electronics.
Shino Yamada, porte-parole du constructeur nippon, raconte qu’après le tremblement de terre, Toyota a forcé ses partenaires à révéler le nom de leurs fournisseurs, un exploit dans un secteur où ces secrets sont jalousement gardés de peur que les constructeurs ne s’en servent pour exiger des baisses de prix. Au fil des années, Toyota s’est constitué une base de données qui couvre environ 400 000 pièces détachées et une dizaine de couches de sous-traitance.
Acheter et stocker
Prenant le contre-pied total du juste-à-temps, Toyota a demandé à ses fournisseurs de stocker certaines pièces détachées. Le stock disponible de Denso, principal sous-traitant de Toyota, atteignait ainsi cinquante jours de production à la fin de l’exercice clos au 30 mars 2020, contre 38 jours en 2011, selon des documents financiers. Denso n’a pas souhaité faire de commentaire sur les stocks, mais indiqué qu’il avait commencé de constituer des stocks d’urgence pour certaines pièces, notamment les semi-conducteurs.
Grâce à ces efforts, le constructeur nippon a mieux résisté aux pénuries récentes que ses concurrents, même s’il n’a pas été totalement épargné. L’usine Renesas qui avait été touchée il y a dix ans par le séisme a dû fermer pendant un mois en mars à cause d’un incendie. Malgré l’aide de centaines de salariés de Toyota, Nissan et autres, elle ne fonctionnera pas à plein avant juillet prochain.
Désormais, comme ils l’avaient fait par le passé avec le juste-à-temps, les constructeurs automobiles imitent Toyota et cherchent à débusquer les failles de leur réseau.
« C’est vraiment là que le système d’achat a failli, résume Bindiya Vakil, directeur général de Resilinc, un fabricant de logiciels qui aident les entreprises à gérer les pénuries de pièces. Ce n’est pas la première fois que, ce qui met le système à genou, ce ne sont pas les pièces les plus chères, mais les petites choses qui ne coûtent rien et qu’on ne gère pas correctement. »
Mike Colias à Detroit et Nick Kostov à Paris ont contribué à cet article
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)
Comment les Chinois contournent les réglementations européennes
Comment les Chinois contournent les réglementations européennes
Pékin subventionne les entreprises publiques qui rachètent leurs concurrents occidentaux ou construisent des usines à l’étranger
Un article du Wall Street Journal
Ces dix dernières années, Pékin a alloué plusieurs milliards de dollars à des filiales d’entreprises publiques chinoises pour qu’elles achètent des concurrents européens, comme le français Valdunes ici en photo, et construisent des usines à l’étranger.
Pendant des décennies, Valdunes a vendu (cher) des roues pour trains à grande vitesse et d’autres pièces détachées ferroviaires. La stratégie a changé quand, en 2014, un conglomérat public chinois a racheté l’entreprise du nord de la France.
Le nouveau propriétaire, Maanshan Iron & Steel Co., a cassé les prix pour tenter de s’imposer sur le marché.
« On nous a dit qu’il ne fallait rater aucune commande, c’était explicite, se souvient Jérôme Duchange, qui dirigeait alors Valdunes. Ils ont un appétit de conquête commerciale. »
La société française devait désormais servir les ambitions stratégiques du groupe chinois : obtenir le savoir-faire nécessaire pour fabriquer des roues pour trains à grande vitesse en Chine et accéder au très réglementé secteur du matériel ferroviaire. Pour ce faire, des banques chinoises lui ont accordé des crédits à des taux très intéressants et MA Steel lui a versé 150 millions d’euros.
Ces dix dernières années, Pékin a alloué plusieurs milliards de dollars à des filiales d’entreprises publiques chinoises pour qu’elles achètent des concurrents européens et construisent des usines à l’étranger. Aujourd’hui, des pneus aux équipements ferroviaires, en passant par la fibre de verre et l’acier, ces sites inondent les marchés mondiaux de produits bon marché.
« Les entreprises chinoises se développent, elles investissent partout, souligne Luisa Santos, directrice adjointe de BusinessEurope, la plus grande association patronale du Vieux continent. Cela signifie que les défauts que l’on constate sur le marché chinois s’exportent désormais sur les autres marchés. »
Cette semaine, marquant une nouvelle étape dans les mesures prises par Bruxelles pour contrer l’expansion internationale des entreprises chinoises, l’Union européenne a présenté un projet de règlement visant à contrôler les entreprises installées en Europe bénéficiant d’aides publiques non européennes.
Zhang Ming, ambassadeur chinois auprès des Vingt-sept, a déclaré que la position européenne inquiétait les investisseurs chinois et portait préjudice à l’ouverture dont l’Union a toujours fait preuve vis-à-vis des investissements étrangers. « Nous considérons souvent l’Union européenne comme notre professeur d’économie de marché, a-t-il souligné. Donc nous ne voulons pas que notre professeur et partenaire se montre hésitant vis-à-vis de ces principes. »
Les Etats-Unis, certaines nations européennes et d’autres pays à travers le monde subventionnent aussi leurs champions nationaux, souvent par des allègements fiscaux, des aides à l’export ou des financements pour la R&D. Mais ce qui différencie la Chine, c’est le poids démesuré des entreprises publiques dans son économie, ainsi que la volonté de l’Etat de soutenir leur expansion hors des frontières nationales.
Les responsables et dirigeants occidentaux affirment que le soutien financier de Pékin permet aux industriels chinois installés à l’étranger de travailler même avec des marges microscopiques (voire à perte), de grappiller des parts de marché et de servir les objectifs stratégiques du pouvoir. Selon eux, il s’agit d’un problème particulièrement délicat quand les industriels en question se trouvent sur un marché occidental
Pour Daniel Gros, économiste au Centre for European Policy Studies, un think tank bruxellois, ces différences ne devraient pas conduire Bruxelles à pénaliser la Chine. « Désolé, mais on ne peut pas exporter notre modèle, explique-t-il. Et on subventionne aussi beaucoup, le poids des aides publiques dans nos économies est très très important. »
Les Etats-Unis et l’Europe ont longtemps compté sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les droits de douane pour pénaliser la Chine et ses exportations qui, dopées aux subventions, crédits d’impôt et autres prêts bon marché, ont permis au pays de connaître une croissance fulgurante. Mais les règles de l’OMC n’ont pas été conçues pour sanctionner les aides qu’un pays verse à des industriels installés à l’étranger.
Résultat : les droits de douane imposés à ces usines chinoises hors de Chine sont souvent moins élevés que ceux qui frappent les usines locales. Parfois, elles y échappent complètement.
Les responsables et dirigeants occidentaux affirment que le soutien financier de Pékin permet aux industriels chinois installés à l’étranger de travailler même avec des marges microscopiques (voire à perte), de grappiller des parts de marché et de servir les objectifs stratégiques du pouvoir. Selon eux, il s’agit d’un problème particulièrement délicat quand les industriels en question se trouvent sur un marché occidental.
« La Chine se moque de faire des bénéfices parce que ce n’est pas une économie de marché, explique Michael Wessel, membre de la commission du Congrès américain chargée de suivre les relations sino-américaines pour les questions d’économie et de sécurité. En tant qu’économie de marché, il faut se demander si nous trouvons ça acceptable. »
La commission a recommandé au Congrès d’autoriser la Federal Trade Commission (FTC), le gendarme américain du commerce, à bloquer les acquisitions réalisées par des entreprises étrangères bénéficiant de subventions publiques, surtout si ces fonds sont utilisés pour la transaction. Elle estime également que les autorités américaines devraient avoir un droit de regard sur les projets de construction d’usines des entreprises chinoises aux Etats-Unis afin de vérifier qu’ils ne constituent pas une menace pour la sécurité nationale et économique.
De son côté, le règlement envisagé par Bruxelles autoriserait la Commission européenne à empêcher les acquisitions par une entreprise recevant des subventions étrangères ou à imposer des restrictions afin que ces opérations n’entraînent pas de distorsion du marché européen.
Les règles européennes limitent d’ores et déjà l’aide que les Etats membres peuvent verser au secteur privé. Pour les responsables européens, le nouveau règlement mettrait tout le monde sur un pied d’égalité : les groupes chinois présents en Europe n’auraient pas le droit de recevoir d’aide de Pékin puisque les groupes européens n’ont pas le droit d’en recevoir de leurs États respectifs.
Pour la Chine, si les Occidentaux se montrent aussi critiques vis-à-vis de ses pratiques, c’est avant tout pour entraver son développement économique. « Les grands pays occidentaux sont à l’origine de l’essentiel des règles qui régissent le commerce mondial, a déploré le mois dernier Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. C’est dans leurs habitudes d’entretenir leur hégémonie. »
Pour continuer d’accéder au marché européen, Pékin a proposé de lever les restrictions qui pèsent sur les investissements des entreprises européennes en Chine, une mesure qui s’inscrit dans le cadre d’un accord préliminaire conclu en décembre avec l’UE. Bruxelles, elle, affirme qu’elle veut faire adopter le règlement sur les subventions étrangères indépendamment de l’accord d’investissement.
En février, Bruxelles a ouvert une enquête sur les subventions publiques chinoises versées pour la construction de l’une des plus grosses fonderies au monde dans une zone spéciale d’Indonésie
En janvier, les Etats-Unis ont imposé des droits de douane aux pneus produits en Thaïlande, en Corée du Sud et en Chine après que la Chine a décidé de produire dans ces pays pour échapper aux tarifs douaniers infligés aux pneus chinois. Les investissements chinois ont contribué à faire de la Thaïlande le premier exportateur mondial de pneus. Pour échapper aux mesures anti-dumping, les groupes chinois construisent aussi des usines de pneus en Algérie, en Serbie et dans d’autres pays.
L’an passé, l’UE a décidé d’imposer des droits de douane à la fibre de verre chinoise produite dans une zone industrielle chinoise en Egypte. Les enquêteurs européens ont découvert que les entreprises chinoises installées en Egypte avaient reçu des centaines de millions de dollars de prêts et de fonds versés directement par des banques publiques chinoises ou acheminés par les filiales égyptiennes des entreprises chinoises. Les maisons-mères chinoises ont contesté la décision devant la Cour de Justice de l’Union européenne.
En février, Bruxelles a ouvert une enquête sur les subventions publiques chinoises versées pour la construction de l’une des plus grosses fonderies au monde dans une zone spéciale d’Indonésie.
China Railway Rolling Stock Corp., géant public chinois du ferroviaire, a bâti deux usines aux Etats-Unis, ce qui lui a permis d’emporter l’adhésion des élus locaux et de participer aux appels d’offres (des règles exigeant qu’une partie des biens achetés par les organismes de transports en commun soient fabriqués sur le sol américain). CRRC a fait une proposition 20 % moins élevée que ses concurrents et remporté des contrats à Boston, Chicago, Los Angeles et Philadelphie, selon des documents du gouvernement américain.
En 2019, le Congrès a voté une loi interdisant l’utilisation des fonds fédéraux pour l’achat des wagons passagers ou de bus fabriqués par des entreprises chinoises. Mais, grâce à ses alliés (dont le démocrate Richard Neal, président de la commission des voies et moyens de la Chambre des représentants dont le district électoral du Massachusetts accueille une usine du groupe), CRRC a obtenu un délai qui lui permet de recevoir ces fonds pendant deux ans. L’élu a déclaré qu’il souhaitait prolonger ce délai de façon illimitée.
Marina Popovic, directrice juridique de la filiale de CRRC qui fabrique des équipements pour la ville de Chicago, explique que l’entreprise est bien décidée à rester sur le marché américain du transport ferroviaire de passagers.
En France, lorsque MA Steel a racheté Valdunes, l’entreprise connaissait des difficultés financières. Pour le groupe chinois, l’opération était l’occasion de se diversifier à l’étranger (Valdunes était un grand nom du secteur) et d’acquérir un savoir-faire dans la fabrication de roues pour les trains à grande vitesse.
Rebaptisée MG-Valdunes, l’entreprise a reçu le soutien de plusieurs banques publiques chinoises, dont Bank of China et China Construction Bank, révèlent des documents, qui lui ont prêté des fonds à des taux oscillant entre 1 % et 2 %.
Après avoir observé Valdunes pendant un an, MA Steel a ordonné aux dirigeants français de remplir le carnet de commandes sans s’intéresser aux prix de vente ni aux coûts de production, ont raconté d’anciens responsables.
Cette stratégie a fait exploser les pertes. Jérôme Duchange, l’ancien patron de Valdunes, raconte que les dirigeants de MA Steel lui ont affirmé que l’entreprise pourrait relever ses prix une fois des parts de marché gagnées. Il se souvient que l’un des responsables chinois avait un jour cité un proverbe chinois : « il n’y a pas de terre stérile, seulement des paysans qui ne travaillent pas suffisamment ».
Ni Valdunes ni MA Steel n’ont répondu aux demandes de commentaire.
C’est ainsi que Valdunes a commencé d’exporter des roues à bas prix vers l’Australie. L’arrivée massive de produits sortis de l’usine Valdunes et des sites de MA Steel en Chine a poussé le pays à imposer des droits de douane aux deux entreprises.
Cette même année, devant l’inexorable augmentation des pertes, le conseil de MA Steel a injecté 70 millions d’euros de plus au capital de la société française. « Valdunes est un pont qui permet au groupe d’avancer en Europe et sur d’autres marchés européens », avait alors déclaré MA Steel.
De fait, c’est Valdunes qui a permis à MA Steel de se frayer un chemin jusqu’aux appels d’offres des grands acheteurs européens de roues, dont l’allemand Deutsche Bahn. Les exportations chinoises de roues de train vers l’UE ont quasiment quadruplé depuis que Valdunes a été racheté par MA Steel.
Le groupe chinois a envoyé les ingénieurs français aider ses usines locales à fabriquer des roues, qui exigent une production beaucoup plus précise que celle des roues de trains de marchandises que MA Steel fabriquait déjà. L’immense réseau chinois de trains à grande vitesse fonctionne toujours avec des roues produites par des industriels européens.
Aujourd’hui, Deutsche Bahn teste les roues « made in China » de MA Steel. L’usine Valdunes, elle, est de plus en plus utilisée pour les finitions et l’emballage des roues fabriquées en Chine et destinées aux clients européens ou autres.
« Nous avions peur que, petit à petit, il n’y ait plus du tout de production en France, raconte Jérôme Duchange, qui a quitté Valdunes en 2019. Mais pour certains produits, on n’a pas pu résister. »
Fin 2019, MA Steel a été racheté par China Baowu, premier aciériste du pays détenu par le gouvernement central. MA Steel explique que, malgré ce changement d’actionnariat, l’objectif reste le même : une expansion mondiale grâce à Valdunes.
« L’administration Biden est très intéressée par le transport ferroviaire, a affirmé Ding Yi, président de MA Steel, lors de la présentation des résultats du groupe en mars, c’est un débouché important pour nous. »