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Rwanda: La reconnaissance des responsabilités françaises

 Rwanda: La reconnaissance des responsabilités françaises 

Stéphane Audoin-Rouzeau, historien français spécialiste de la violence de guerre, réagit au discours d’Emmanuel Macron sur le génocide de 1994, prononcé jeudi lors de sa visite à Kigali dans l’Opinion

 

 

 

 

Le président de la République a reconnu jeudi les « responsabilités » de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et dit espérer que les Rwandais puissent un jour pardonner aux autorités françaises de ne pas avoir su l’empêcher. Dans un discours très attendu prononcé au mémorial de Gisozi à Kigali, Emmanuel Macron s’est efforcé de tourner la page d’une relation douloureuse entre les deux pays, soulignée par le récent rapport des historiens de la mission Duclert qui a conclu aux « responsabilités accablantes », mais pas à la « complicité » de la France.

Historien à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste de la violence de guerre et du premier conflit mondial, Stéphane Audouin-Rouzeau se consacre désormais au génocide des Tutsis du Rwanda. Il est notamment l’auteur d’Une initiation : Rwanda 1994-2016 (Seuil, 2017).

Dans son discours à Kigali, le président Macron n’a pas prononcé le mot « excuses ». A-t-il eu raison ?

Il me semble que l’on s’est trop focalisé sur cette question des excuses. L’important, à mes yeux, c’était l’institutionnalisation d’un discours de vérité, discours déjà « officialisé » par la remise des rapports Duclert et Muse il y a deux mois. Mieux valait un discours de vérité solide et pas d’excuses, plutôt que l’inverse. Ajoutons qu’il y a dans le discours d’Emmanuel Macron une demande de pardon en quelque sorte « indirecte » : « Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner. » On ne demande pas le pardon, mais on espère qu’il nous sera accordé, en somme…

Le Président a parlé de « la France » sans jamais désigner par leur nom les responsables de l’époque, François Mitterrand au premier chef. Là encore a-t-il eu raison ?

C’est là l’aspect le plus décevant du discours. Car « la France », qu’est-ce à dire ? En fait, autour de François Mitterrand lui-même, un petit groupe d’une dizaine de personnes a préempté toute la politique française au Rwanda, au moins jusqu’à la cohabitation de 1993. Ce petit groupe d’« assassins de papier » — assassins de papier malgré eux, mais assassins de papier néanmoins — porte toute la responsabilité des errements criminels de la politique française. L’Etat français n’a pas démérité dans sa totalité, des tas d’objections à la politique suivie sont remontées vers les décideurs, de la part de la DGSE notamment. Ces décideurs méritent désormais de basculer dans les poubelles de l’Histoire.

Quid de la responsabilité des militaires ?

C’est un autre point faible du discours. On le sait : l’armée française s’est très bien « tiré » du rapport Duclert, sans doute un peu trop. Certes, en démocratie, la responsabilité primaire des décisions militaires revient au pouvoir civil, et à ce titre, il eût été profondément anormal de faire porter le chapeau de la politique suivie à l’armée française, pour laquelle j’ai beaucoup de respect. Pour autant, le chef d’état-major de l’époque, l’amiral Lanxade, n’était pas un simple exécutant, mais un coproducteur des décisions prises. Il faudrait ici descendre au niveau de l’opérationnel. Les forces françaises, de 1990 à 1993, se sont-elles contentées d’assister les forces armées rwandaises ? Le général Varret, commandant de la Mission militaire de coopération, a bien dit que ce n’était pas le cas, et c’est pour cela qu’il a démissionné et quitté l’armée. Et puis, les artilleurs français n’ont-ils jamais manié eux-mêmes les canons de 105 mm livrés par la France ? Il est difficile de le croire. Enfin, le général Patrice Sartre a incriminé les puissants moyens de combat de Turquoise, au détriment des moyens de secours humanitaire, et il a donc évoqué « l’échec humanitaire » de l’opération. Tout ceci, avec d’autres sujets encore, devra être tiré au clair.

« Au sens courant, il est bien évident que les responsables français ne souhaitaient pas le génocide, n’ont pas voulu qu’il advienne, et n’ont commis aucun acte d’appui direct à celui-ci. Qui pouvait penser le contraire ? D’un point de vue de droit pénal international, les choses sont plus compliquées… »

Pour Emmanuel Macron, la France est « responsable » mais pas « complice ». Ce raisonnement vous convainc-t-il ?

Cette question de la « complicité » empoisonne le débat autour du rapport Duclert depuis deux mois. Les responsables de la politique française de l’époque s’en sont saisis pour dire qu’il n’y avait donc « rien à voir ». Au sens courant, il est bien évident — et il l’a toujours été à mes yeux — que les responsables français ne souhaitaient pas le génocide, n’ont pas voulu qu’il advienne, et n’ont commis aucun acte d’appui direct à celui-ci. Qui pouvait penser le contraire ? D’un point de vue de droit pénal international, les choses sont plus compliquées. La jurisprudence, ici, pourrait permettre de reconnaître une complicité sans intentionnalité, en fonction du niveau d’aide apporté. Dès lors, si des associations de rescapés, en France, au Rwanda, en Belgique, décidaient de lancer des actions en justice pour ce motif, qui oserait leur en faire le reproche ?

De manière plus générale, quel regard portez-vous sur la politique mémorielle du président Macron ? Croyez-vous possible cette « réconciliation des mémoires » à laquelle il aspire ?

Pour avoir accueilli le président à Péronne, à l’Historial de la Grande Guerre, à la fin de son itinérance mémorielle de 2018, et pour avoir lu de près ses communiqués sur l’assassinat de Maurice Audin et d’Ali Boumendjel en 1957 par les paras d’Aussaresses pendant la bataille d’Alger, il me semble que cette politique mémorielle est assez remarquable. De même pour le rapport commandé à l’historien Benjamin Stora, tout le problème étant ici le dédain du pouvoir algérien à son endroit. Mais pour le Rwanda, le Président a été confronté à une « accélération du temps » : deux mois seulement se sont écoulés entre l’« officialisation » d’un discours de vérité grâce aux rapports Duclert et Muse, et le discours d’Emmanuel Macron à Kigali : c’est très très peu ! On se souvient que deux décennies s’étaient écoulées entre l’officialisation d’un savoir historien sur le rôle de Vichy dans la déportation des juifs de France et le discours de Jacques Chirac en juillet 1995, reconnaissant la responsabilité de la France.

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