Blockchain et crytomonnaies: perspectives
« La blockchain représente un registre transparent et distribué, donc décentralisé, capable d’enregistrer les transactions entre deux utilisateurs de manière efficace, vérifiable, permanente et irréversible »
Tribune dans l’opinion deBertrand Jacquillat vice-président du Cercle des économistes et senior advisor de J. de Demandolx Gestion.
Le commerce mondial a accouché d’un étrange paradoxe. Les consommateurs peuvent s’envoyer des données à la vitesse de l’éclair et à moindre coût, alors que le transfert d’argent n’a pas évolué, il est resté coûteux et lent. Ces outils essentiels que sont les contrats, les transactions et leur enregistrement, et qui représentent les éléments déterminants de l’écosystème financier, n’ont pas suivi la transformation digitale de l’économie.
C’est ce à quoi la blockchain peut contribuer. Cette technologie représente un registre transparent et distribué, donc décentralisé, capable d’enregistrer les transactions entre deux utilisateurs de manière efficace, vérifiable, permanente et irréversible. Dans un tel environnement, chaque accord, chaque process, chaque tâche et chaque paiement sont enregistrés et pourvus d’une signature numérique susceptible d’être identifiée, validée, stockée et partagée. Les individus, les entreprises, les machines et les algorithmes y procèdent librement à des transactions et à des interactions avec le minimum de frictions.
Le bitcoin constitue la toute première application de la technologie de la blockchain. Il est la plus médiatisée des cryptomonnaies (depuis sa création en 2008, plus de 1 700 ayant une valeur supérieure à un million de dollars sont apparues). Son usage répond à des motivations diverses. Pour certains, il constitue un divertissement, pour d’autres un objet de spéculation qui peut rapporter gros et vite (l’inverse est tout aussi vrai). Mais pour la communauté de ses croyants, qui forment une véritable secte, c’est tout un mode de vie, notamment à cause de son côté anarchique, débarrassé de tout contrôle, indépendant des gouvernements, des grandes banques, de la politique monétaire, dans lesquels ils n’ont plus confiance.
Le bitcoin a une empreinte carbone très élevée à cause de l’électricité nécessaire aux «mineurs» pour sa production longue et complexe. Son fonctionnement selon son protocole actuel requiert une consommation d’électricité équivalente à celle du Pakistan
Avec la généralisation des cryptomonnaies, c’est Ayn Rand et ses épigones libertariens qui prennent le pouvoir. Mais un certain nombre d’évènements récents ont ébranlé la marche en avant du bitcoin. D’abord la chute instantanée de sa valeur de 30 % la semaine dernière, de même que la directive de la Banque centrale chinoise enjoignant aux banques de ne pas accepter de virements en cryptomonnaies, déniant ainsi à ces dernières le statut de monnaie réelle. Le coup de grâce leur fut porté à la fois par la banque centrale américaine et par la Banque centrale européenne, lorsqu’elles ont souligné que ces crypto-actifs ne représentaient aucun risque systémique du fait que les banques placées sous leur juridiction n’y étaient que très peu exposées. Elles étaient donc indifférentes à leur extrême volatilité, et par conséquent n’interviendraient pas en cas de krach provoqué par ceux-ci.
Abus de langage. Dernier coup de pied de l’âne à leur encontre, l’avertissement des banques centrales que les cryptomonnaies n’avaient aucune valeur fondamentale (mais quelle est celle du dollar ou celle de l’euro ?), voire une valeur négative, si on leur appliquait la taxe carbone qu’elles devraient supporter. D’aucuns estiment que les cryptomonnaies, et notamment la plus médiatisée, le bitcoin, n’ont aucun des attributs classiques conférés à une monnaie, et que l’accolement des deux termes constitue un abus de langage trompeur.
Le bitcoin n’est pas une unité de compte dans la mesure où aucun prix n’est exprimé en bitcoin. Il n’est pas non plus un moyen de paiement (sauf dans l’usage illicite qu’en font certains pour le blanchiment d’argent sale), ne serait-ce que parce que seulement quelques transactions par seconde sont possibles avec le bitcoin, à comparer à plus de 24 000 au travers du réseau Visa, et que quasiment aucune entreprise ne les accepte en paiement de ses produits et services (ni même Tesla qui vient de se rétracter de cette possibilité). Le bitcoin est encore moins une réserve de valeur compte tenu de l’extrême volatilité de son prix. Il n’appartient même pas à la catégorie des actifs, dans la mesure où la plupart d’entre eux génèrent des flux de revenus. Il ne représente pas plus de l’or digital, comme l’affirment ses promoteurs, car il n’a aucun usage industriel.
Enfin, last but not least pour son avenir, le bitcoin a une empreinte carbone très élevée à cause de l’électricité nécessaire aux « mineurs » pour sa production longue et complexe. Le fonctionnement du bitcoin selon son protocole actuel requiert une consommation d’électricité équivalente à celle du Pakistan.
Tiers garant. Il n’empêche, l’installation des cryptomonnaies dans le paysage financier mondial a amené les banques centrales à réfléchir à la création de leur propre monnaie digitale, des stablecoins, qui pourraient précisément servir au règlement des transactions en offrant la sécurité d’un tiers garant, et qui leur permettrait de garder leur pouvoir de contrôle sur l’écosystème financier. La fonction principale de la finance étant d’enregistrer de manière continue énormément de transactions, ces nouvelles technologies innovantes concernent tous ses acteurs : les banques, les compagnies d’assurances, les gestionnaires d’actifs, les infrastructures de marché, etc.
La blockchain a le potentiel pour devenir le système d’enregistrement de toutes les transactions financières, ce qui devrait entraîner des économies opérationnelles dans le fonctionnement de la planète finance évaluées à plusieurs milliers de milliards de dollars
Le rapprochement des transactions entre registres individuels et privés prend beaucoup de temps parce qu’il présente à la fois un risque d’erreurs et de fraude. Par exemple, une transaction boursière courante peut être exécutée en quelques microsecondes, et souvent sans intervention humaine. Mais le règlement et le transfert de propriété des espèces et des titres peuvent nécessiter plusieurs jours ouvrables car les parties concernées, n’ayant pas accès à leurs registres respectifs, n’ont donc aucune possibilité de vérification directe de leur existence et de leur transférabilité.
Au lieu de quoi, une série d’intermédiaires servent de caution pendant que les organisations concernées enregistrent la transaction en mettant à jour un par un et séparément leurs registres. Les plateformes de marché traditionnelles sont particulièrement visées, et devraient basculer sur cette technologie, aussi bien en matière de compensation, de conservation et de négociation (trading) des titres.
En effet, si une transaction boursière est effectuée sur un système fondé sur la blockchain, elle sera réglée en quelques secondes, en toute sécurité et de façon vérifiable. Ainsi, cette technologie a le potentiel pour devenir le système d’enregistrement de toutes les transactions financières, ce qui devrait entraîner des économies opérationnelles dans le fonctionnement de la planète finance évaluées à plusieurs milliers de milliards de dollars. Ainsi les cryptomonnaies ne sont que la partie immergée des nouvelles technologies appliquées à la finance susceptibles de bouleverser son fonctionnement. L’arbre ne doit pas cacher la forêt, mais la route sera longue et accidentée pour qu’ils n’atteignent l’âge de la maturité.
Bertrand Jacquillat est vice-président du Cercle des économistes et senior advisor de J. de Demandolx Gestion.
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