Le divorce entre les Français et la science
« Comment expliquer le divorce entre les Français et la science ? La dérégulation de l’information scientifique permise par les nouveaux médias favorise la confusion entre savoir et croyance » par Olivier Babeau et Jean-Yves Le Déaut* dans l’Opinion
Rarement les scientifiques auront eu autant la parole que ces derniers mois, prenant une place de choix dans les débats publics et pesant légitimement dans la stratégie nationale de lutte contre la pandémie. Paradoxalement, la méfiance des Français envers la science et le progrès technique semble croître. Le baromètre « science et société » lancé par l’institut Sapiens et Ipsos en décembre dressait un état des lieux peu réjouissant : 58 % des Français affirment que si les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux, c’est parce qu’ils défendent avant tout des intérêts privés et seulement 50 % des Français pensent que grâce à la technologie et la science, les générations futures vivront mieux que celles d’aujourd’hui (contre 62 % en 2013).
C’est le drame du responsable politique que de n’être bien souvent plus capable de mettre en parallèle des bénéfices et des risques
Comment expliquer le divorce entre les Français et la science ? La dérégulation de l’information scientifique permise par les nouveaux médias favorise la confusion entre savoir et croyance. Les mécanismes traditionnels de tri de l’information sont abolis. Dans un monde de disponibilité intégrale des contenus où savoirs validés, hypothèses fantaisistes et opinions sont présentés sans hiérarchie, la prime est donnée à l’information frappante, donc extrême, et séduisante pour l’esprit. Celle qui est exacte et nuancée présente souvent moins de séduction. D’où la prolifération des idéologies, qui se nourrissent d’un mélange d’aveuglement et de connaissances frelatées. Et l’efficacité des propagandes de tous ordres.
Chaos. Lui-même empêtré dans le chaos du débat public qui a quitté le lit des médias traditionnels, le politique ne sait pas comment aborder la science. Il n’est souvent pas capable de défendre ses agences indépendantes contre les gesticulations du premier activiste venus. Alors que sa propre légitimité est affaiblie par une défiance sans précédent vis-à-vis des institutions et de leurs représentants, il ne sent pas la force d’opposer aux discours anti-scientifiques le haussement d’épaules qu’ils méritent. Comme Ponce Pilate, il préfère se laver les mains d’une querelle où il craint d’être pris à partie s’il s’engage. En matière d’innovation, interdire demande infiniment moins de courage que de permettre.
Le feuilleton autour du vaccin AstraZeneca en est la triste illustration. Les risques de thromboses ont provoqué une hésitation catastrophique du politique qui a durablement miné la confiance dans ce vaccin. Pourtant, en pratique, nous avons plus de chance de souffrir d’une thrombose en prenant l’avion ou de mourir dans un accident de voiture que d’avoir une thrombose liée au vaccin…
On pourrait hélas multiplier les exemples de ces sujets scientifiques que le politique n’aborde que d’une main tremblante. La façon dont sont réglementés aujourd’hui les OGM procède d’un choix politique et non scientifique. On peut se féliciter que, malgré les pressions très fortes, les nouvelles techniques de sélection variétale (qui ne sont pas stricto sensu de la modification du génome) n’aient pas été interdites au nom de notre phobie de l’innovation agricole. Elles permettent aux cultures de mieux s’adapter à de nouveaux environnements, d’améliorer les rendements et la qualité des sols.
C’est le drame du responsable politique que de n’être bien souvent plus capable de mettre en parallèle des bénéfices et des risques. C’est pourtant son rôle : face à des scientifiques qui seront toujours dans la nuance et le balancement propre à la progression du savoir scientifique, le politique a pour tâche de décider. Pour trancher, il doit être capable d’assumer des risques afin de permettre des bénéfices. Cela suppose de comprendre la différence essentielle entre le danger (la nocivité d’un produit par exemple) et celle de risque (la probabilité d’exposition au danger, qui fait la nocivité réelle). Une possibilité qui semble désormais hors de portée de dirigeants terrorisés à l’idée du moindre accident immédiatement interprété par l’opinion comme un scandale. Le principe de précaution, initialement conçu comme devant déclencher une saine quête d’information, est ainsi de plus en plus converti en principe d’inaction.
Nous devons réapprendre à nos enfants la confrontation et la hiérarchisation des sources. Plutôt que de leur asséner des certitudes, nous devons leur apprendre le doute méthodique. Au lieu d’un monde manichéen aux certitudes faciles, il faut les initier à l’exigence de la nuance
On peut d’autant plus le déplorer que la science est plus que jamais au cœur des grands enjeux que sont l’augmentation démographique et le réchauffement climatique. Comment va-t-on nourrir demain 10 milliards de personnes sans destruction de la planète ? Peut-on y arriver en revenant seulement à des méthodes anciennes ? Peut-on se passer des nouvelles techniques en complément des techniques éprouvées ? 15 % de la population mondiale souffre de malnutrition sévère tandis que 40 % des adultes des pays développés souffrent d’obésité. On n’arrivera pas par des techniques d’hier à résoudre les défis de demain.
Il est essentiel que politique se saisisse de ces enjeux. Pour retrouver les conditions d’un débat rationnel, tout commence par l’école. La culture scientifique, en chute libre d’après les évaluations, doit être réintroduite en force dans les enseignements, et substituée à un catéchisme écologique trop souvent plus idéologique que scientifique (en particulier en matière d’énergies renouvelables et de vénération inconditionnelle du bio). Nous devons réapprendre à nos enfants la confrontation et la hiérarchisation des sources. Plutôt que de leur asséner des certitudes, nous devons leur apprendre le doute méthodique. Au lieu d’un monde manichéen aux certitudes faciles, il faut les initier à l’exigence de la nuance. Pour éviter ensuite la confusion des sources et la domination des pseudosciences, on pourrait imaginer de créer un organisme international sur le modèle GIEC qui donnerait l’état des savoirs scientifique sur les sujets, en s’appuyant sur une légitimité indiscutable.
* Olivier Babeau est président de l’Institut Sapiens. Jean-Yves Le Déaut est biochimiste et ancien député.
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