Radio-La lente décomposition d’Europe 1
Dans une tribune au « Monde », l’ancien journaliste de la station observe, entre tristesse et colère, la lente dégringolade de cette radio qui fut une « belle architecture », mais où ce qui était débat devient aujourd’hui « outil sordide de propagande ».
Le naufrage impressionne, car c’est un paquebot qui prend l’eau. Encore faut-il remonter aux sources de l’avarie. Europe 1 est née dans le récit, la mémoire, la liberté de ton, l’histoire en direct – guerre d’Algérie, Mai 68, révolutions, société et jeunesse – « Salut les copains », Johnny et sa bande, sport, culture et impertinence. Ajoutez les voix, sans lesquelles une radio fiche par-dessus bord cette dose indispensable d’imaginaire et de cœur. De Filipacchi à Gildas et Paoli père et fils, d’Arnaud à Choisel et Saccomano, de Desjeunes, Lescure et Sinclair à Elkabbach, de Rabilloud, Tronchot et Carreyrou à Nay et Mougeotte. De Coluche à Souchier. De Guillaume Durand à Yves Bigot. De Patrick Cohen à Pascale Clark, Taddeï et Vandel. Des voix qui créent l’image, et pas l’inverse.
Pour mériter le podium des radios périphériques, il faut avoir la décence de respecter sa propre histoire. L’élégance de jouer contre ses propres idées quand il est question d’information et de programme. La trahison fut donc totale.
Dès la fin des années 1980, Europe 1 ne veut ni voir ni entendre les nouvelles habitudes d’écoute : l’image qui dévore ; les flux d’information qui ruinent toute hiérarchie, repoussent les interdits, engendrent fantasmes et réécriture de l’histoire. Flux qui imposent en contrepoids dignité et culture, lenteur du savoir, plus que jamais indispensables.
En 1996, au moment où le nouveau gérant de la rue François-Ier [Jérôme Bellay, nommé directeur général de l’antenne] met la culture hors champ, abrase de manière scandaleuse les voix historiques de la station et légitime la stratégie du « small talk » – plus c’est court, plus c’est bon –, RTL crée avec discrétion, intelligence, un rendez-vous matinal entièrement consacré à la culture : « Laissez-vous tenter ». Bingo.
Le pli est pris. Malgré les envolées lyriques de d’Eugène Saccomano, la droitisation naturelle de la station, et le seul Yves Calvi qui manie fausse ignorance et découverte pour le plus grand nombre, Europe 1 n’est plus qu’une radio confinée, obsédée par le confort de ses fossoyeurs, lesquels n’ont cure de la rédaction et de ses talents.
Règle intangible : le paquebot plonge toujours plus vite qu’un hors-bord.
Hors les passages éclair, lumineux, dans la nuit qui venait, de Denis Jeambar et d’Alexandre Bompard [respectivement directeur général de l’antenne en 1995-1996 et président de la station de 2008 à 2010], convaincus qu’Europe 1 ne pouvait vivre qu’en assumant son histoire, ses débats et sa culture, ce fut la course pathétique à l’échalote, derrière les nouvelles niches radiophoniques.
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