Vaccin Covid: Une troisième dose ?
Une troisième dose sera-t-elle bientôt nécessaire ? C’est en tout cas ce que propose, le PDG de Moderna, le Français Stéphane Bancel, pour les personnes à risque. De toute manière, cette troisième dose pourrait se révéler nécessaire si l’on s’en tient aux récentes études qui démontrent que la couverture du vaccin ne dépasse pas environ un an. La vaccination pourrait être régulière tous les ans notamment pour les plus fragiles.
Interview dans le JDD
L’arrivée du vaccin Moderna en pharmacie et chez les généralistes peut-elle accélérer la campagne vaccinale en France?
Elle va rendre le vaccin plus accessible pour les personnes âgées isolées, ou les actifs débordés. Elle permettra donc d’atteindre plus vite l’immunité de groupe. Aux États-Unis, l’arrivée du Moderna en officines a accéléré la cadence des injections sans poser de problèmes logistiques : notre vaccin peut se conserver au réfrigérateur durant un mois.
Les doses de rappel que vous préparez seront-elles efficaces contre les variants inquiétants ?
Nous testons trois stratégies de rappel différentes chez des personnes vaccinées l’an dernier dans le cadre de nos essais cliniques : l’une est dirigée contre la souche de Wuhan, comme notre vaccin actuel ; l’autre contre la souche sud-africaine ; la troisième est un mélange des deux. Grâce à un dosage des anticorps, l’efficacité de ces trois « boosters » est mesurée sur les quatre variants jugés à risque par l’OMS. Chez la souris, le mélange des deux produits fonctionne le mieux. Je parie que ce sera pareil chez l’homme : ça a toujours été le cas avec l’ARN messager. Une fois connus les résultats attendus pour début juin, nous lancerons une étude sur plusieurs centaines de personnes. L’objectif est de fournir les données aux agences réglementaires en août, pour une homologation en septembre.
Un rappel est-il vraiment nécessaire ?
On sait qu’avec le coronavirus OC43, à l’origine de la pandémie dite de « grippe russe » de 1890-1894 – et responsable chaque année d’environ 10 % des séjours à l’hôpital dus à des maladies respiratoires –, l’immunité dure de un à trois ans, selon les malades. Nous pensons que notre vaccin sera efficace pendant une période comparable. Sauf que l’arrivée des variants augmente le niveau de la menace. C’est pourquoi il faut anticiper. Et vacciner avec une troisième dose toutes les personnes à risque dès la fin de l’été, notamment les résidents des Ehpad qui ont reçu leur première dose au début de l’année. Deux à trois mois de retard entraîneraient de nombreuses hospitalisations et des morts. Tous les adultes, mêmes jeunes, devront ensuite recevoir un rappel afin de protéger les personnes fragiles non vaccinées. Le principe de précaution, qui est parfois un frein, doit prévaloir en temps de pandémie : il sauve des vies.
Craignez-vous une quatrième vague en France?
La vaccination peut nous en prémunir. D’ici à l’été, tous les adultes désireux de se faire vacciner auront reçu une première dose. Il faudra ensuite très vite cibler les adolescents de 12 à 17 ans. Nous allons déposer une demande d’autorisation de mise sur le marché à l’Agence européenne des médicaments début juin. L’idéal serait de les protéger avant la fin du mois d’août. Si on ne vaccine pas massivement, le risque d’une quatrième vague ne peut être écarté.
La défiance envers les vaccins, à laquelle les États-Unis font face aujourd’hui, est-elle dangereuse ?
L’Europe connaîtra ce phénomène. Il n’y a rien à faire face à un noyau d’irréductibles « antivax ». Mais on peut convaincre la majorité des hésitants. Le gouvernement américain a conclu un partenariat avec Uber pour transporter les patients jusqu’aux pharmacies, une chaîne de fast-food offre des frites aux personnes vaccinées, une enseigne de vêtements verse une prime de 100 dollars à ses salariés vaccinés. Les meilleurs ambassadeurs du vaccin restent tous les vaccinés qui se portent très bien : 90 millions de personnes ont reçu deux doses de Moderna dans le monde entier.
Vous aviez critiqué la lenteur de l’Europe à signer un contrat avec votre société. La campagne vaccinale française vous semble-t-elle trop lente ?
Pas du tout : c’est un vrai succès. Jamais une campagne de vaccination n’a été réalisée aussi vite! J’ai critiqué le manque d’anticipation de l’Europe. Les États-Unis, dès le printemps 2020, ont parié sur trois technologies, avec à chaque fois deux laboratoires retenus par plateforme vaccinale, afin d’éviter une défaillance d’entreprise. Le défi logistique a été au cœur des préoccupations des autorités. Tous les samedis matin, nous nous réunissions en Zoom avec Tony [Anthony] Fauci [l’immunologiste conseiller de la Maison-Blanche], Moncef Slaoui, [le coordinateur de la stratégie vaccinale] et dix généraux de l’armée américaine, pour faire le point sur l’avancée du projet. Dès les essais cliniques, nous construisions ensemble l’outil industriel.
Ce qui me rendait fou, c’est que je savais qu’il fallait de toute urgence implanter des usines en Europe. Les résultats préliminaires de la phase 1 étaient bons. Attendre était contraire à l’éthique! Construire une salle blanche, acheter des machines, former les équipes, tout cela prend au moins six mois et demande beaucoup d’argent, ce qu’une biotech comme la nôtre n’avait pas. La France a démarré très vite l’achat de doses, dès avril-mai 2020. Mais le dossier s’est enlisé à Bruxelles. J’ai pressé l’Europe de passer commande et de nous verser un acompte pour lancer la production. En vain. Rien n’a changé avant la signature du contrat en novembre. Seuls Israël, la Suisse et le Canada ont joué le jeu. Justin Trudeau [le Premier ministre canadien] a même payé 100% des commandes canadiennes dès la signature du contrat, à l’été 2020, ce qui nous a permis d’acquérir des matières premières. La banque Morgan Stanley nous a aussi aidés en mai 2020 : son PDG, James Gorman, a acheté l’intégralité de nos émissions d’actions, soit 1,3 milliard de dollars, pour que nous puissions avancer. On peut critiquer la vision à très court terme des marchés financiers, mais, en l’occurrence, ils ont réagi très vite et efficacement.
Pourquoi vous opposez-vous à la levée des brevets réclamée par de nombreux pays ?
À l’exception de Pfizer et de Moderna, aucune capacité de production de vaccins à ARN n’existe dans le monde. Si les brevets étaient suspendus, les producteurs devraient acheter des machines et embaucher du personnel. Pfizer-BioNTech construit un outil industriel pour fabriquer 4 milliards de doses et nous, 3 milliards supplémentaires. Sept milliards, c’est assez pour vacciner la planète entière avec une première dose! En 2022, on pourra donner un rappel à toute la planète. La levée des brevets ne changera rien pour cette année. Mais ce serait une erreur stratégique majeure, car elle découragerait les investisseurs. Les brevets sont l’une des clés de leur retour sur investissement. Sans eux, Moderna n’aurait pas pu lever 5 milliards de dollars depuis sa création, dont 1,8 milliard pour la seule année 2020. Comme BioNTech, nous n’aurions jamais existé sans les brevets. En revanche, le mécanisme Covax – auquel nous participons – est un excellent outil pour offrir des doses aux pays pauvres. L’Unicef, qui les distribue, s’assure que les pays qui les reçoivent aient les capacités de stockage nécessaires. Les 3 milliards de doses que nous produirons l’an prochain sont destinées non aux pays riches – dont la population est d’environ 1 milliard d’individus – et qui n’auront besoin que d’un rappel, mais bien à ces pays-là.
Parlez-vous de la situation sanitaire avec les responsables français ?
Je communique régulièrement avec eux, notamment avec le président Macron.
Avez-vous compris le retard pris par Sanofi, censé être le champion français du vaccin ?
C’est triste qu’un des quatre leaders mondiaux, dont la technologie est éprouvée, ait un an de retard sur nous. Nous aurions pu disposer de centaines de millions de doses supplémentaires.
Pourquoi Moderna est-elle américaine et pas française?
Moderna est américaine depuis sa naissance, il y a dix ans. Je n’en suis pas le fondateur. C’est un scientifique qui l’a créée ; j’en suis « l’employé numéro deux ». La France a des scientifiques de haut niveau, mais manque d’un vivier d’ingénieurs et de techniciens formés aux technologies les plus modernes. L’autre frein en Europe, c’est le financement nécessaire à la phase de croissance des biotechs : ce sont les États-Unis qui ont financé l’Allemand BioNTech. Il manque une structure adaptée au capital de croissance en France, entre autres à cause d’un problème de législation.
Pourquoi avez-vous compris si tôt qu’une pandémie démarrait?
La lutte contre les maladies infectieuses, c’est toute ma vie. On s’attendait à l’émergence d’un nouveau virus. L’an dernier, alors que j’étais en France pour les fêtes de Noël, un article du Wall Street Journal m’a alerté. J’ai écrit à Tony Fauci, dont les équipes travaillaient déjà sur ce sujet. L’été précédent, quand je lui avais dit que nous pourrions fabriquer un vaccin en deux mois, il m’avait pris pour un fou. Puis nous avions mis au point un vaccin contre une pandémie fictive, qui l’avait convaincu. Lors du forum de Davos, en janvier 2020, j’ai reçu la confirmation, par des informations non officielles venues de Chine, que c’était grave. Quand Wuhan a été confinée et que j’ai réalisé que de nombreux vols vers l’Europe et le reste du monde décollaient de son aéroport international, j’ai eu la certitude que le virus était déjà partout. J’ai dit : « C’est une pandémie, comme en 1918! » À la fin du forum, j’ai sauté dans un avion pour Washington pour rencontrer les responsables américains, et l’aventure du vaccin a vraiment démarré. Le 2 mars, j’étais dans le Bureau ovale, avec Donald Trump et les dirigeants des Big Pharma. Lui, très agressif, voulait une solution rapide. Les laboratoires traditionnels, peu familiers de la rupture technologique que constitue l’ARN messager, doutaient que ça puisse aller aussi vite. Peu importe : j’avais le soutien de Tony Fauci. Le 16 mars, l’essai clinique commençait.
Vous avez rejoint le club des milliardaires de Forbes. C’est un aboutissement ?
Ce que je fais, ce n’est pas pour l’argent. Ma femme et moi finançons de nombreuses associations à travers le monde, grâce à la fondation que nous avons créée. Nous sommes décidés à donner l’intégralité de notre fortune et à faire grandir cette fondation, baptisée Champions of love. Nos enfants sont prévenus : « On paie vos études et ensuite vous vous débrouillerez! »
Comment avez-vous vécu cette année extraordinaire ?
J’ai dormi entre quatre et cinq heures par nuit. Et couru tôt chaque matin pour me vider la tête. Travaillé non-stop, samedi et dimanche compris. Tous les salariés de Moderna aussi. Ils sont nombreux à avoir passé des nuits entières à l’usine et utilisé les douches dans les vestiaires. Pendant des mois, plus personne ne savait quel jour de la semaine nous étions. Leur motivation à tous, ce n’est pas l’argent mais la santé publique.
Gardez-vous la tête froide après avoir lancé l’un des antidotes contre la pandémie du siècle ?
J’ai été éduqué par les jésuites à servir. Aider à sauver des vies, c’est mon métier depuis mon premier job, à l’âge de 23 ans, où je me battais pour sauver la vie d’enfants japonais victimes d’une épidémie bactérienne. C’est la perception du grand public sur notre travail qui change. Pas nous.
L’ARN messager peut-il permettre de soigner d’autres maladies ?
Cette technologie va transformer la médecine d’une manière extraordinaire. Nous effectuons des essais cliniques en partenariat avec AstraZeneca sur une molécule en cardiologie. Il suffit de l’injecter une fois dans le cœur d’une victime d’infarctus pour que des vaisseaux sanguins tout neufs se reconstituent. Le muscle cardiaque redevient une pompe efficace. Grâce à cette thérapie régénérative, qui a fait ses preuves sur le cochon, le handicap consécutif à l’infarctus pourrait disparaître et l’espérance de vie, grandir. Nous testons également des traitements personnalisés contre le cancer. Et nous espérons bientôt guérir, au moins pendant quelques mois, des maladies auto-immunes, dont le lupus. Le XXIe siècle sera celui de la biologie.
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