L’argent sale des cryptomonnaies

L’argent sale des cryptomonnaies 

 

Trois experts de la gestion des risques et du numérique, Marianne Collin, Charles Cuvelliez et Jean-Jacques Quisquater, analysent, dans une tribune au « Monde », les limites des superviseurs des marchés financiers confrontés à l’usage croissant des cryptomonnaies.

 

Tribune.

Il existe à peu près 8 000 cryptomonnaies, et donc 8 000 manières de blanchir de l’argent ou de financer le terrorisme, diront les détracteurs du bitcoin et de ses variantes. Le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à grande échelle restent encore du domaine du risque. Mais il vaut mieux prévenir que combattre un tel fléau, pour autant qu’on prenne bien la mesure du risque !

Les cryptomonnaies, c’est comme le cash mais, à la différence du cash, qui passe de la main à la main, les montants et les distances entre contreparties impliquées dans le paiement n’ont pas de limite avec les cryptomonnaies. C’est le premier problème.


Les cadres réglementaires qui visent à limiter le blanchiment d’argent (Anti-Money Laundering, AML) et le financement du terrorisme (Countering the Financing of Terrorism, CFT) se basent sur le repérage par les intermédiaires techniques (banques, prestataires spécialisés) qui acheminent les paiements jusqu’à leurs commanditaires (avocats, notaires) : ils ont l’obligation d’identifier correctement tous les clients et d’enquêter de manière approfondie le cas échéant, d’enregistrer les transactions, de mettre en place des contrôles internes AML/CFT, de rapporter aux autorités les cas suspects.

Mais dans le cas des cryptomonnaies, il n’y a pas d’intermédiaires. C’est le deuxième problème. On ne peut donc récupérer un semblant de contrôle que quand les cryptomonnaies rentrent dans le système financier traditionnel, soumis aux procédures AML/CFT. C’est comme pour le cash, lorsque de grosses quantités de liquide alimentant soudainement un compte bancaire déclenchent des alertes… Sauf que les prestataires actifs dans les cryptomonnaies ne sont pas soumis à ces procédures. On peut les classer en trois catégories.

Il y a les émetteurs de cryptomonnaies (on devrait parler de cryptoactifs car les cryptomonnaies sont bien peu utilisées pour payer) qui les enregistrent, les distribuent sur les marchés, les proposent aux investisseurs… Il y a ceux qui en organisent la vente et l’achat, fixent les prix en fonction de l’offre et la demande, procèdent au transfert de cryptoactifs entre vendeur et acquéreur, ou les conservent comme tiers de confiance. Ils peuvent même fournir les services financiers en support d’une transaction entre contreparties.

Enfin, il y a les acteurs techniques qui fournissent l’infrastructure adéquate. C’est tout cet écosystème bigarré qu’il faut mettre au pas. Le Financial Stability Institute (FSI) de la Banque des règlements internationaux a examiné la façon dont s’organisait dans plusieurs juridictions la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme via les cryptoactifs (« Supervising cryptoassets for anti-money laundering », avril 2021).

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