La valeur réelle des médicaments
Tribune dans l’Opinion de Thierry Nouve,irecteur général de l’association Vaincre la Mucoviscidose.
La valeur des médicaments attend-elle le nombre des années ? Convoquer Corneille dans le cadre de la fixation des prix des médicaments pourrait paraître étrange. La valeur d’un médicament est une chose absolument insaisissable, incompréhensible, inadmissible ou insupportable. Elle est le fruit de négociations complexes entre les autorités sanitaires et un laboratoire. C’est aussi un processus très long. Trop long pour les malades qui patientent pendant que leur état de santé se dégrade.
Contrairement aux idées reçues, le prix d’un médicament remboursé ne reflète pas son coût. Il s’agit d’une valeur faciale : le laboratoire et les pouvoirs publics s’entendent sur des « remises », dont le montant varie en fonction du volume vendu. La santé fonctionne comme la grande distribution avec les tant décriées « marges arrières ».
La valeur d’un médicament n’est pas forcément ni uniquement le résultat d’un investissement, déduction faite des subventions publiques perçues par le laboratoire à laquelle on ajoute une marge. Tout est opaque et complexe. Le Parlement, constitutionnellement seul habilité à fixer le budget de la Sécurité sociale ne connaît que des enveloppes globales. La raison invoquée : le « secret des affaires » ! L’OMS a pourtant voté une résolution en mai 2019 qui invite notamment les Etats à publier le prix réel des médicaments.
Deux ans après, force est de constater que rien ou si peu n’a changé. Le récent accord intervenu entre le Leem (Les entreprises du médicament) et le CEPS (qui fixe le prix des produits de santé, ndlr) ne change rien ou si peu. Au sein de l’Union européenne, cette question demeure de la compétence des Etats qui ignorent le prix dans les autres pays membres. Une exception notable et récente : les vaccins anti-Covid-19 ont été négociés à l’échelle européenne. Une exception qui mériterait de devenir la règle.
« Pour un patient, la valeur d’un médicament, c’est celle qui le guérit, le soulage et améliore sa qualité de vie voire lui sauve l’existence »
Solidarité. Notre pays a la chance d’avoir un système de protection sociale qui repose sur la solidarité. Le poids du médicament dans les dépenses remboursées par la Sécurité sociale est relativement stable (+6,5 % sur les dix dernières années). Toutefois, l’arrivée de nouveaux traitements à coûts élevés fait peser une menace sur notre système de protection sociale. Mais, nombre de médicaments innovants sont dans le « pipe » pour lesquels certains industriels affichent des retours sur investissement à la hauteur de leur impact sur la santé des patients. Thérapie génique, thérapie cellulaire, thérapie de la protéine deviennent des réalités, mais à quel prix ? Comment notre système de protection sociale pourra-t-il supporter cela ?
Pour un patient, la valeur d’un médicament, c’est celle qui le guérit, le soulage et améliore sa qualité de vie voire lui sauve l’existence. Pour certains, ils sont nés avec une maladie ou ont été frappés plus tard. Ces maladies ont un point commun, un caractère évolutif et parfois fatal. Mais le processus d’accès aux médicaments est trop long.
Selon l’étude WAIT, la France se situe au 21e rang des pays européens en termes de délai de disponibilité des médicaments. Ainsi, le délai moyen entre le dépôt à l’EMA (Agence européenne des médicaments) d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) et sa disponibilité en France est de 920 jours, près de trois ans !
Fort heureusement, la France dispose des dispositifs d’accès précoces. Toutefois, ils ne reposent que sur l’initiative des laboratoires. Dès lors, un laboratoire peut, pour des raisons qui lui sont propres et souvent liées à une stratégie autour du prix désiré, faire patienter les malades jusqu’à l’aboutissement du processus de fixation du prix. Les patients sont le prix à payer, leur santé servant de rançon. Les malades exercent une pression sur les pouvoirs publics alors contraints de céder. Fort heureusement, il existe peu de laboratoires qui se comportent ainsi. Mais, le système permet qu’il puisse en exister un seul. Aussi, seules aux âmes damnées, la valeur attend le nombre des années.
Thierry Nouvel est dirigeant de Vaincre la Mucoviscidose, une association de patients et d’usagers du système de santé.
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