Arctique: L’enjeu international

Arctique: L’enjeu international

Rencontre entre le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dans le cadre du Conseil de l’Arctique, jeudi à Reykjavik, en Islande.(Interview dans l’Opinion)

 

 

Une réunion du Conseil de l’Arctique s’est tenue mercredi et jeudi à Reykjavik, rassemblant la Russie, les Etats-Unis, le Canada, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Norvège et l’Islande. Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, se sont rencontrés pour la première fois en marge de ce sommet.

Mikaa Mered est enseignant en géopolitique des pôles à SciencesPo et HEC.

Quel était l’enjeu environnemental du sommet sur l’Arctique ?

A côté des sujets purement constitutionnels, l’environnement était le thème majeur de ce sommet, même si ont pu se jouer, en coulisse, des manœuvres géostratégiques.

Avec un affrontement entre la Russie et les autres pays du conseil ?

Je ne parlerais pas d’affrontement à ce stade. Russes et Américains sont dans une phase de réaffirmation de leur identité et de leur capacité d’action dans l’Arctique. Les deux pays se jaugent. Les Etats-Unis essaient de repousser la Russie sur son territoire. Cette dernière tente de se projeter autant qu’elle peut dans l’espace transatlantique, d’un côté, et dans l’espace Béring, de l’autre, pour élargir son plan d’action voire sécuriser son propre territoire. Chacun avance ses pions, essayant d’établir un nouvel équilibre. Les autres pays soit sont alliés des Etats-Unis au sein de l’Otan, soit font tampon entre les deux camps comme la Suède et la Finlande. Mais, a priori, les experts s’attendent à ce que la présidence russe du Conseil de l’Arctique, ces deux prochaines années, soit relativement consensuelle, comme le démontrent les objectifs dévoilés par Moscou. La Russie ne peut pas s’enfermer dans un jeu « seule contre tous ».

Comment marier la lutte contre le réchauffement climatique avec les énormes réserves en hydrocarbure de la région ?

Les deux questions sont liées. Ce qui se joue dans l’Arctique, c’est la cohabitation entre des économies matures comme celles des Etats-Unis et du Canada et une économie rentière comme celle de la Russie. La question est de concilier développement économique et protection de l’environnement. C’est un sujet sensible même côté russe dont 60% du territoire est couvert par des terres gelées en permanence (pergélisol) et où les infrastructures (villages, gazoducs, etc.) construites depuis l’ère soviétique sont soumises à la fonte et fragilisées. C’est un enjeu majeur pour Moscou de concilier les deux car le coût généré par le dégel promet d’être mirobolant – de l’ordre de plus de 100 milliards de dollars sur les vingt prochaines années, selon certaines estimations. Le changement climatique est un enjeu très concret.

Qu’en est-il des Etats-Unis et de la Norvège qui ont commencé à prospecter ?

Les Norvégiens continuent d’explorer et de produire dans la mer de Barents. Ils se sont lancés aussi dans l’exploitation des nodules polymétalliques et les terres rares des fonds marins dans la partie ouest de sa zone économique exclusive, sachant que l’Arctique est la deuxième réserve de terres rares derrière la Chine. Côté Américain, Donald Trump a essayé de relancer les forages en Alaska pour le pétrole et pour le gaz mais sans succès, du fait du retrait de la Chine qui devait financer notamment un énorme projet de 43 milliards de dollars. C’est d’ailleurs un problème pour les Alaskiens qui voient leur rente s’amenuiser. Comme la Russie, les Etats-Unis sont confrontés à une érosion des côtes de l’Alaska (avec, à la clé, le déplacement de villages entiers) et à la fonte du pergélisol alors qu’ils ont des bases militaires importantes dans la région, éléments majeurs pour le pays sur son flanc ouest…

Les enjeux climatiques de la région sont-ils pris en compte ?

Complètement. C’est le cœur du travail du Conseil de l’Arctique et de son conseil économique : les chefs d’entreprise et lobbyistes qui en font partie se sont accordés sur la mise en place d’un protocole pour responsabiliser les investissements présents et futurs. Il y a une réelle prise de conscience. L’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que le reste de la planète, cela va contribuer au dérèglement climatique dans d’autres régions du monde.

La Chine semble aussi vouloir s’impliquer dans la région…

Elle y est déjà impliquée directement en tant que bailleur de fonds. Elle finance ou cofinance tous types de projets. Ses investissements ces cinq dernières années représentent plus de 90 milliards de dollars. C’est aussi un client important de toutes ses matières premières ainsi que touristiquement, avec des encours de contrats sur les vingt prochaines années de plus de 500 milliards dollars. Il y a enfin un volet purement scientifique – ce qui lui permet d’avoir un statut d’observateur au Conseil – sachant que la Chine, pour anticiper la fonte des glaces de l’Himalaya et du Tibet, a bâti un écosystème de chercheurs spécialistes des pôles. Avec des moyens techniques et financiers non négligeables, ils sont un millier, quand la France en compte 350 à 400.

Où en est le projet d’achat du Groenland par les Etats-Unis ?

Il n’est plus d’actualité mais les Groenlandais ont vu tout l’avantage à valoriser cet intérêt américain. Ils ont eu un coup de publicité énorme et inespéré en 2019 grâce à Donald Trump. Aujourd’hui, à l’issue des élections du mois d’avril, il y a une nouvelle majorité et un nouveau Premier ministre très jeune (34 ans). Plutôt à gauche sur l’échiquier politique, son objectif est d’ouvrir son pays à l’international, sans exploiter toutes les ressources de son pays comme l’uranium. Les Américains vont chercher à renforcer cette relation bilatérale pour la bonne raison qu’indépendamment de ce que proposait Trump, l’administration Biden n’entend pas laisser tomber la dynamique créée par ce dernier, en montrant aux Groenlandais qu’il vaut mieux miser sur la coopération avec les Etats-Unis qu’avec la Chine. Et le nouveau gouvernement du Groenland semble réceptif à ce message.

Quel rôle joue, aujourd’hui, la France ?

Il y a un vrai changement depuis le remplacement de Ségolène Royal par Olivier Poivre d’Arvor comme ambassadeur français des pôles. Pour la première fois depuis huit ans, la France a été réellement représentée au Conseil de l’Arctique ! La deuxième nouvelle positive c’est que, dès sa nomination, Olivier Poivre d’Arvor a fait l’effort de rassembler la communauté de recherche française et les acteurs économiques comme le cluster maritime, pour essayer de constituer une sorte d’équipe de France des pôles, dépassant simplement la question scientifique. Il est aussi à l’origine d’une grande opération de mobilisation, dénommée « Eté polaire », pour laquelle j’ai été sollicité et qui aura lieu dans 25 villes de France du 10 juin au 10 octobre. Cela prendra la forme d’une saison culturelle et scientifique dédiée aux pôles, pour utiliser les nombreuses commémorations et manifestations prévues cette année : soixantième anniversaire du traité de l’Antarctique, trentième anniversaire du protocole de Madrid au traité de l’Antarctique, vingt-cinquième anniversaire du Conseil de l’Arctique et surtout accueil par la France, pour la première fois en trente-deux ans, de la réunion du traité de l’Antarctique, ce 14 juin.

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