Lobbying: Non à la levée des brevets ! (Didier Patry et Olivier Boileau-Descamps )
Il est intéressant de prendre connaissance des arguments ( peu convaincants) des lobbys concernant la levée des brevets Covid 19.
Didier Patry est directeur général de France Brevets. Il enseigne le management stratégique de la propriété intellectuelle à l’ESCP, à SciencesPo Paris et à l’Université Bocconi. Olivier Boileau-Descamps est Président de Mirandole, consultant en stratégie, leader d’opinion et coordonnateur de projets pour la promotion des métiers, des techniques, du savoir-faire et des arts.
En réponse au manque de vaccins contre la pandémie, certains pays riches, et le pape lui-même, appellent à donner aux pays les plus pauvres un accès gratuit aux brevets.
Malheureusement, en dépit des apparences, cette solution ne pourra pas satisfaire les besoins des populations qui subissent une nouvelle vague dévastatrice. Il faut rappeler que l’Inde, loin d’être un pays pauvre, est une puissance nucléaire. Même si elle plaide à l’OMS pour une levée des brevets, elle est le plus gros producteur de vaccins au monde et se place dans le peloton de tête dans la course à la production de vaccins anti-Covid…très loin devant l’Angleterre, les Pays-Bas ou la Russie.
Pourtant, seulement 10 % de la population indienne aurait reçu au 8 mai 2021 au moins une dose de vaccins anti-Covid, contre plus de 60 % en Israël, plus de 50 % au Royaume-Uni et aux Emirats Arabes Unis, et plus de 40 % aux Etats-Unis. En Inde, les centres de vaccination doivent refuser les volontaires faute de doses disponibles.
Que s’est-il passé pour qu’une grande puissance médicale comme l’Inde se retrouve ainsi confrontée à une nouvelle vague dramatique ? Le Serum Institute of India (SII) - le plus grand producteur indien – a participé en 2020 au développement du vaccin d’Oxford ChAdOx1 Covid-19 commercialisé par AstraZeneca. Le propriétaire de SII, qui exporte dans plus de 68 pays, a déclaré que depuis le début de la pandémie, il aurait eu pour projet d’augmenter sa production annuelle de doses de vaccins de 1,5 milliards à 2,5 milliards. Cette seule société était donc en capacité de fournir des vaccins pour toute la population indienne qui compte 1,3 milliards d’habitants.
Opportunités. Malheureusement, la société SII a choisi de commercialiser en priorité son vaccin vers le Royaume-Uni à un tarif plus avantageux, au détriment du gouvernement indien dont la population en subit aujourd’hui les conséquences. De fait, la société SII a été vivement critiquée dans les médias en Inde pour sa pratique tarifaire, variable en fonction de la demande et des opportunités. Face à la grogne, le propriétaire de SII a dû s’enfuir, sous protection, avec sa famille, vers l’Angleterre pour y trouver refuge. Exilé au Royaume-Uni, il a été très chaleureusement accueilli par Boris Johnson [4] et a lancé d’importants investissements dans son nouveau pays d’accueil.
L’exemple indien nous montre bien que ni les ventes, ni l’augmentation de la production n’ont été empêchées par les brevets, que certains aujourd’hui accusent de freiner l’accélération du rythme de la vaccination au niveau mondial. Ce qui est en cause à Delhi est bien l’incurie du gouvernement de Modi qui n’a pas imposé la priorisation de la vaccination de sa population.
Les variations tarifaires, l’attrait des bénéfices liés à la vente au plus offrant et le manque de patriotisme industriel ont conduit à la situation dramatique dans laquelle se trouve l’Inde aujourd’hui. L’éventuelle levée des brevets n’y changera rien puisque la plupart des pays en difficulté ne disposent pas des capacités de production associées et, lorsque c’est le cas, les industriels privilégient les ventes aux plus offrants, donc à l’Occident dans le cas indien.
Dès lors, seuls les dons de doses de vaccin aux pays qui en ont besoin permettront effectivement d’accélérer le rythme de la vaccination mondiale et d’atteindre cette fameuse immunité collective qui permettra le retour à la vie normale.
La levée des brevets est donc une fausse bonne solution proposée par les pays riches pour sauver les apparences… qui sont souvent trompeuses.
Didier Patry est directeur général de France Brevets. Il enseigne le management stratégique de la propriété intellectuelle à l’ESCP, à SciencesPo Paris et à l’Université Bocconi. Olivier Boileau-Descamps est Président de Mirandole, consultant en stratégie, leader d’opinion et coordonnateur de projets pour la promotion des métiers, des techniques, du savoir-faire et des arts.
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